VIII

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Son point de vue

— Réponds-moi, réponds-moi.

Répondeur, encore. Voilà je ne sais combien de temps que j'essaye de l'appeler et je tombe sur son répondeur en permanence. Encore une fois, je me dis que je ne le connais que trop peu. Je ne sais même pas où il habite. Il ne m'a jamais donné son adresse, et ne m'a jamais invité à venir chez lui. Je comprends mieux pourquoi aujourd'hui.

Je n'arrête pas de penser à quel point les choses ont changé si vite. J'ai toujours senti qu'il y avait quelque chose de puissant entre Isaiah et moi, je n'ai pas pu résister à l'envie de l'embrasser, encore moins de coucher avec lui. Je me cherchais depuis des années, sans jamais me trouver; il a fallu une nuit, pour que toutes les pièces du puzzle s'imbriquent entre elles. Il fallait simplement qu'Isaiah m'embrasse d'abord. Mon coeur s'est mis à battre si fort, que j'ai instantanément compris que c'était lui, celui qui ne me quitte jamais, toujours à mes côtés, celui que je considérais comme mon ami. Il a réchauffé mon coeur en un geste, il l'a pris entre ses mains et l'a enfin activé. Je ne l'avais pas senti battre autant depuis des années.

Je suis torturé. Je m'en veux tellement. J'ai l'impression d'avoir tout foiré, d'avoir été le pire proche que quelqu'un puisse avoir. Isaiah a beau être un bon menteur, j'aurais du me douter bien plus tôt que quelque chose ne tournait pas rond avec toutes ses blessures. Je ne l'avais que rarement vu tomber devant mes yeux, tout se passait lorsque je n'étais pas là, sous un toit, entre quatre murs bien épais.

Lorsque je lui posais des questions, c'était des explications toujours accompagnées de grands sourires et rires. Il me racontait son mensonge en se grattant toujours l'arrière du crâne et en haussant les épaules, en me rappelant qu'il était un grand maladroit. Et moi je riais maladroitement et il se joignait souvent à moi.

C'est au ralenti et éteint que je me prépare pour aller en cours, en espérant du plus profond de mon coeur qu'il y soit déjà, à m'attendre à l'entrée. Hésiterai-je une seule seconde à le prendre dans mes bras et l'embrasser devant tout le monde ? Je ne pense pas. Je lui ai promis ma présence, un foyer, de l'amour et une famille. Je ne l'abandonnerai pas. Il a besoin de moi autant que j'ai besoin de lui. J'ai besoin de lui dans ma vie.

Je relis son écriture sur le papier une énième fois en soupirant et le replie avant de le fourrer dans ma poche. Trois jours que je n'ai pas eu de ses nouvelles. Impossible de contacter qui que ce soit pour avoir son adresse, ni même l'école fermée le week-end. Je vais enfin pouvoir aller directement chez lui.

Je salue rapidement mes parents, qui voient bien que je suis perturbé depuis plusieurs jours. Ils m'avaient d'ailleurs demandé si je n'avais pas entendu des choses étranges le soir où Isaiah était à la maison. J'avais simplement haussé les épaules. Si seulement ils savaient.

C'est à pied que je vais à l'école, en espérant le voir apparaitre à chaque coin de rues. C'est pourtant bien seul que j'étais en classe toute la journée, encore. A la fin de celle-ci, je me suis empressé de demander l'adresse d'Isaiah au directeur, qui, après un interrogatoire et un bon mensonge de ma part, a fini par me la donner.

Je me suis empressé d'aller jusque chez lui. Un quartier complètement normal, une maison d'apparence plutôt agréable. Impossible de deviner les atrocités qui se passent dans celle-ci. Néanmoins, l'extérieur n'est pas bien entretenu, mais pas de là à se dire qu'une mère bat son enfant. Merde, je suis trop con.

C'est légèrement tendu que je me monte les quelques marches du porche, avant de toquer. Personne ne répond une première fois, alors j'insiste un peu, puis j'entends des pas lourds s'approchant de celle-ci.

La porte s'ouvre lentement et une femme apparait. La ressemblance entre Isaiah et elle est frappante. Elle n'a pourtant pas la beauté singulière de son fils. Isaiah est lumineux, avec un visage tendre et fin. Cette dame est disgracieuse et bouffie, avec des yeux tombants et rouges. Son regard est vide et sombre. Elle est cernée et ridée, les cheveux attachés comme si elle venait de sortir du lit.

— Tu veux quoi ?

J'essaye de regarder derrière elle.

— Bonjour, je cherche Isaiah, est-ce qu'il est à l'intérieur ?

— T'es qui ?
—Un ami proche madame.
— T'es comme lui alors ? C'est toi qu'il se tape c'est ça ?

Je fronce les sourcils d'agacement, elle n'a aucune retenue. Je serre les dents et les poings.

— Il est là ?
— Nan, il est parti y'a des jours déjà. Dégage maintenant.

Elle referme la porte mais je la bloque avec ma main.

— Pardon ? Mais pour aller où ?
— J'en sais rien, casse-toi.

Elle me pousse et je manque de trébucher. La porte claque. Je reste béat quelques secondes devant la porte avant de regarder autour de moi, comme s'il allait sortir de nul part. Il n'est pourtant pas là.

Ce jour-là, je suis rentré le coeur lourd à la maison, tombant encore sur le répondeur d'Isaiah.

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