coeur

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Loth Oscar Grimms avait appris à écrire très jeune. Il avait trouvé la beauté des mots et des phrases bien faites. Il écrivait comme un cendrier, comme s'il consommait les pensées sur le papier et l'oeuvre final ressemblait toujours, malgré ses efforts, à un amas de cendres. Comme s'il pouvait souffler d'un coup, comme si tout pouvait disparaitre en poussières. Il avait tellement écrits que les phrases parfois se formaient à l'envers. Il oubliait d'y ajouter un verbe, ou un sujet. Les phrases ne s'enchainaient pas comme un dialogue mais comme une longue tirade au lecteur. Comme conteur il se reposait toujours sur des sonorités, il entendait chaque écrit lu à haute voix et s'amusait à faire sonner les mots. Ainsi, pensait-il le lecteur pouvait percevoir à l'intérieur même de sa tête la musicalité qu'il imprégnait dans ses écrits. Il voyait sa rédaction énigmatique, il aimait l'idée de bribes et de citations. Il aimait l'idée que ses phrases indépendamment des unes des autres puissent raconter leur propre histoire. Que chaque phrase est un rôle dans la pièce de son récit, même si l'action en elle-même ne se déroulait qu'en fragments.

Alors quand Loth Oscar Grimms avait commencé à rédiger sa lettre mentale, il avait mis en route une comptine pour garder le fil. Il avait tout structuré autour de cette même note. Mais maintenant que le cendrier semblait déborder, il hésitait. Cela lui avait parut trop simple d'énumérer des faits, il lui semblait que son écrit était dépourvu d'émotions. Pourtant Loth Oscar Grimms s'était toujours considéré comme un être sensible. Face au récit complet, dans la Pièce au mur Gris, il lui semblait qu'il avait traité d'un point de vu extérieur tout ce qui faisait de lui son histoire. Cependant cela lui semblait absurde de recommencer une nouvelle fois. De partir à nouveau à la recherche de ses émotions. Peut-être était-ce la chose qui le rendit amorphe, ou alors simplement l'exigu de la pièce, il ne savait pas. Il ne pensait plus, il était différent.

Loth Oscar Grimms avait vu autour de lui l'amour s'abattre comme un orage. Il se disait donc que pour réveiller ses émotions, il écrirait sur ce qui le poussait à retourner au Café-Librairie chaque semaine.

Titus/ N'en doutez point, madame; et j'atteste les dieux

Que toujours Bérénice est présente à mes yeux.

L'absence ni le temps, je vous le jure encore,

Ne vous peuvent ravir ce coeur qui vous adore.

Bérénice/Hé quoi, vous me jurez une éternelle ardeur

Et vous me l'a juré avec cette froideur!

Pourquoi même du ciel attester la puissance?

Faut-il par des serments vaincre ma défiance?

Monsieur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,

Et je vous en croirai sur un simple soupir.

Un accident. Tout avait commencé par un accident. Non pas l'un ou l'on chute, ni encore ou l'on se réfugie, ce n'était pas de ceux dont on se remet avec un simple pansement, ni même de ceux qui nécessite une hospitalisation. C'était un accident, sans excuses. Un accident soudain ou l'on prend conscience de chaque mesure de son corps et de soi-même. Un accident au travers d'un regard, un accident sans paroles. Loth Oscar Grimms aurait voulu demander s'ils avaient regardés des deux cotés avant de traverser sa vie.

Loth Oscar Grimms s'était demandé quand avait-il décidé de se perdre lui-même à aimer les autres. Car cela devait être une décision. Comme il pouvait, au détour d'un miroir se regarder et se supplier d'arrêter d'aimer. Loth Oscar Grimms était fier de ce dernier pouvoir. Alors pourquoi attendait-il toujours de s'être essouffler au maximum pour se l'imposer?

Il se reprochait toujours de ressentir trop facilement. Il trouvait embarrassante la façon dont sa vie vacillait en un instant. Il était amoureux de l'amour, alors quand son tour venait de ressentir, il jouait à l'écrivain, plaçait une estrade de ses désirs et espérances, mais oubliait malgré tout que ce type de scènes se jouent à deux. Il ne pouvait pas se perdre à construire seul quelque chose que l'autre voulait pour lui-même. Il jouait à l'amant, mais en coulisse, quand tout les yeux était clos, Loth Oscar Grimms aimait jouer à l'amoureux comme un médicament.

La première fois qu'il emprunta un rôle, Lottie était tétanisé. Il doutait à chaque instant, il voyait le tout comme un casse-tête impossible. Même quand tout allait bien, il ne voyait pas d'issue à sa peur. Lorsqu'ils étaient éloignés les deux personnages se sentaient vide, ils avaient besoin parfois de se blottir dans la pensée de l'autre. Et malgré tout, malgré un bout de temps, même lorsque le rideau s'était fermé, Lottie avait un gout amer, un non-dit, un non-vécu.  Les deux acteurs s'étaient promis de se rejoindre un jour ensemble quelque part. Ils s'étaient promis qu'ils se reverraient et que quand cela arriverait, cela voudrait dire beaucoup. Ils s'étaient aussi fait une promesse. La promesse de vivre l'un sans l'autre, de se sentir bien, avant d'à nouveau peut-être se sentir bien ensemble. La promesse était un fil, un souffle, une respiration. Cette promesse c'était ralentir une seconde.

La seconde fois qu'il emprunta ce rôle, il le regretta amèrement. Il s'en voulait, il n'était pas fautif, mais la confiance qu'il avait servit lui suffisait à être malade. Il lui avait fallu du temps pour être à nouveau capable de manger correctement, de se réveiller à chaque nouveau jour et d'y croire. Cela avait laisser une marque indélébile sur le plancher de la Pièce lorsqu'il l'avait raconté. Mais finalement un jour il l'a revit un lundi soir, vers 18h, et ils se regardèrent comme deux inconnus. Alors, plus tard ce soir là, il se dit que c'était juste.

La troisième fois aussi, il fut secouer par la violence de l'océan qui s'était déchainer. Mais trop rapide pour être capturé, ne restait qu'à Loth Oscar Grimms le souvenir d'un ciel étoilé.

Depuis, Lottie se méfiait. Il n'osait plus trop, il ne s'élançait plus sans doute. Mais un jour, par accident il vacilla à nouveau. Et depuis, coincé dans le canapé étroit du Café-Librairie, il attendait 13h30.

Ah Titus, car enfin l'amour fuit la contrainte

De tous ces noms que suit le respect et la crainte.


Ana Lefèvre avait parcouru des vies, et la Pièce s'impatientait de son entrée prochaine, attendant qu'elle foule à son tour le vieux parquet.

La lettre de Loth Oscar Grimms touchait à sa fin, ou plus exactement, à son commencement.

le léthéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant