1.3 - Tsunami

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Ses yeux se remplissent d'une lueur sombre, indéfinissable. Un combat intérieur se joue en lui.

Les secondes tambourinent en accord avec mes battements dans l'attente de sa réponse.

— Deuxième porte à droite, lâche-t-il finalement d'un ton de voix encore plus bas.

Dans ma pochette, j'attrape l'emballage carré et le dépose sur la table, non sans lui lancer un regard qui veut dire : « Pas la peine de venir si tu ne le mets pas ! », puis je me lève et me dirige vers la pièce d'eau.

Tellement de luxe que cela en est indigeste !

J'amorce l'eau et l'observe s'écouler de l'immense douche à l'italienne. Tant qu'à être là, autant en profiter. J'abandonne mes escarpins et tout ce qui m'habille, puis je pénètre entre les deux panneaux de verre opaque et avance lentement sous le jet incliné.

Les gouttes d'eau tiède s'écrasent sur ma peau avec la douceur d'une pluie d'été. Je pourrais presque me sentir bien.

Presque.

Si ce n'est que je me perds, une fois de plus entre ma conscience et mes besoins.

Je devrais partir, mais je reste pour l'argent.

Je devrais pouvoir me regarder en face, mais j'évite mon reflet torturé.

Je voudrais baisser les bras, m'enfuir, mais je reste là, soumise.

Un frôlement sur mon épaule m'arrache un hoquet de surprise. Les yeux baissés, je dévie ma tête et j'aperçois une partie de son corps.

Il est là, nu.

Juste derrière moi.

Ses doigts glissent le long de mon dos jusqu'en bas de mes reins. Il s'y attarde un instant et aussi doux qu'un souffle, sa main continue sa progression vers mon ventre.

Entre la raison et ces nouvelles sensations, je tente de maintenir le peu de contrôle qui m'appartient encore. Je me répète en boucle : c'est un client !

Sans se voiler la face, s'y tenir est ce qui reste de plus dur à faire lorsque chaque mouvement déclenche des avalanches de frissons.

Il vient se lover contre moi et la chaleur de son corps épouse le mien à la perfection. Chaque partie en contact s'électrise aussitôt et des milliers de picotements m'envahissent malgré moi. Je me fais violence pour rester impassible, mais c'est la première fois qu'un homme me fait autant d'effet en une seule seconde.

D'instinct, je plaque mes mains contre les panneaux de verre et penche la tête quand il dégage ma nuque de mes longs cheveux bruns. Ses lèvres effleurent mon oreille, incendient dans mon cou et s'échouent sur mon épaule.

Je garde les yeux fermés, mais mon souffle s'approfondit sans que je ne puisse le maitriser.

Son autre main rejoint la première sur mon ventre et d'un geste lent, mais ferme, il colle mon bassin au sien. Je lâche une plainte inattendue quand ses doigts descendent plus bas et qu'un feu inconnu m'embrase.

Jamais de ma vie, je ne l'avais ressenti aussi intensément !

Je serre les dents lorsque sa bouche prend le chemin inverse jusqu'à mon oreille et que mon corps me trahit quand sa main se fait plus active. Il s'arrête, me laisse au bord du précipice. Ce répit de courte durée suffit pour réaliser son impact : je suis à bout de souffle, offerte, dans l'attente de la délivrance.

Je me fais honte d'apprécier et de réagir, puis toute ma rationalité s'évanouit quand il bloque mon bassin et entre en moi.

D'une seule poussée, mais avec lenteur et douceur, il me coupe la respiration. À chacun de ses aller-retour, je me transforme en Charybde et Scylla : je gèle puis brûle entre ses doigts.

Ses mains viennent se poser à côté des miennes et son corps m'enveloppe tout en maintenant un rythme qui ne me laisse aucune trêve. Son visage dans mon cou, son souffle saccadé au rythme de ses mouvements fait écho au mien.

Quoi qu'il fasse, je ne peux l'empêcher de déclencher en moi un torrent de sensation et la vague, digne d'un tsunami, s'approche pour me dévaster. Je n'ai plus aucune protection contre son déferlement.

Ma lucidité m'abandonne avec la marée montante du plaisir et je perds le contrôle devant la promesse d'une exquise délivrance.

Son rythme augmente et ses lèvres s'animent d'un ton douloureux :

— Je ne... peux... plus.

Son timbre grave ajouté à ses dernières impulsions ont raison de mon bas-ventre qui se contracte avec délice malgré moi.

La déferlante est là. Puissante. Dévastatrice.

La jouissance bloque l'air dans ma gorge et mes jambes me lâchent. Je me rattrape à ses bras qui me retiennent contre lui afin que je ne m'écroule pas. Chaque onde de plaisir m'assassine et me tue à la fois.

Petit à petit, je reprends mes esprits et la raison revient à moi. Jamais je n'avais eu une telle connexion avec un homme.

Un homme qui est un client...

Faire semblant est plus facile. Là, au moins, ils en ont pour leur argent. Cela reste la meilleure des protections. Ce soir, c'est moi qui viens de me faire détrousser. Le désarroi qui m'assaille est à la hauteur du plaisir qu'il vient de me donner. Une douleur amarescente creuse mon cœur.

Pourquoi ?

Amères, des larmes traitresses s'échappent.

Ma situation est bien réelle : je suis une prostituée. De luxe, certes, mais une prostituée quand même ! Il va sortir son enveloppe et refermera la porte derrière moi afin de continuer sa vie.

Il reprend son souffle et peine à me lâcher. Je colle ma joue contre la sienne et savoure, les yeux fermés, ces instants éphémères comme dernier souvenir à se remémorer.

Qu'y a-t-il de mal à profiter de sa douceur une dernière fois ?

— Rébecca ?

Non ! Pas ce prénom. Il est pour les autres...

— Dis quelque chose, me murmure-t-il.

Je me dégage et me retourne tout en le fixant intensément. Son visage me terrifie. Ce que je lis dans ses yeux me fait terriblement peur. Ce que je ressens, dans l'instant, va au-delà d'un bon coup, d'une simple fois et un sentiment profond me dit que jamais je ne retrouverais une telle symbiose.

Puis, réalisant avec effroi la nature de ce que je ressens, je m'éloigne de lui tout en ramassant mes affaires. Je m'habille à la va-vite, sans prendre le temps de m'essuyer, car je dois partir, je ne peux pas rester !

C'est trop dangereux !

Une lueur d'incompréhension passe dans ses magnifiques prunelles grises lorsque je croise son regard.

— Tu pars ? Reste ici cette nuit. Je pensais que tu avais apprécié autant que moi ? dit-il d'une voix encore rauque.

Le problème, c'est que j'ai peut-être trop apprécié, mais je ne peux pas le lui dire.

Je me retrouve à la porte et l'ouvre. Il me suit, une serviette autour de la taille attrapée à la va-vite.

Je ne devrais pas, mais je me retourne une dernière fois et croise son regard si captivant. Si terrifiant. Quand le bruit de l'arrivée de l'ascenseur retentit, je lui lance :

— Je suis désolée, je n'aurais jamais dû venir, pas cette fois...

Je m'engouffre dans la cabine qui se referme sur moi et m'emmène le plus loin possible de celui qui vient de fissurer le dernier rempart avant mon cœur et mon âme.

ÂmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant