2.1 - Triste réalité

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Je n'ai pas toujours été comme ça.

Ce "métier", je l'ai découvert grâce à une connaissance, à une période où j'avais un terrible besoin d'argent. Ne voyant pas d'autres solutions, c'est complètement désespéré que j'ai commencé à mettre à profit mon physique agréable pour arrondir mes fins de mois.

Je me suis vite rendue à l'évidence du gain facile et rapide au détriment de mon âme...

Le TGV file à la vitesse de l'éclair et me ramène chez moi, dans mon antre, mon repaire. Là où personne n'est au courant de ma vie parallèle. Même Anne-Lyse, mon amie, ma confidente.

Bien sûr, elle sait que je me déplace pour des évènements mondains. Pour elle, je travaille pour un traiteur, un organisateur de soirées. Je ne pourrais jamais lui dire la vérité. J'aurai trop peur de trouver autre chose que de la fierté dans son regard. Je m'en voudrais également de la faire culpabiliser.

Quatre heures de trajet me séparent de la capitale où j'exerce, à mon sud natal où je vis.

Quatre heures pour analyser ce que j'ai éprouvé et valider que j'avais atteint mes limites. Celles que je m'étais mentalement imposées.

Comment accepter un nouveau rendez-vous après la nuit que je viens de passer ?

Cette fois-ci, c'est la fois de trop...

Tant que je ne ressentais que du dégoût, c'était facile de passer outre et d'oublier. Mais là, il me suffit de fermer les yeux pour revenir dans cet hôtel, dans cette salle de bain et sentir à nouveau ses mains sur moi... sa peau contre la mienne ainsi que toutes ces sensations inconnues que j'étais loin de penser découvrir et d'apprécier. Je revois ses yeux au gris profond, sa voix chaude et grave qui me donne des frissons, son corps qui épouse mes courbes à la perfection... Ses doigts qui glissent doucement sur moi, jusqu'en moi...

Essoufflée par mes pensées, j'ouvre les yeux et réalise que je pourrais presque jouir de cette étreinte virtuelle. Ce souvenir volé fait irruption dans ma tête et prend une saveur qui s'amoindrit avec la réalité de ma vie.

J'ai joué avec le diable bien des fois et maintenant, je viens de lui vendre mon âme. La partie était si intense que j'en ai oublié mon argent...

Aurais-je dû le prendre ? Je me pose encore la question.

J'ai beau faire abstraction, me dire que j'ai absolument besoin de cet argent, je ne peux plus envisager d'autres mains sur mon corps que les siennes.

Cette rencontre a bouleversé les certitudes, les convictions dans lesquelles je m'enfermais afin de trouver une raison quant à la nécessité de ces rendez-vous planifiés et dégradants.

La voix grésillante qui sort du haut-parleur me coupe de mes réflexions et m'indique que nous arrivons en gare d'Avignon.

Comme une automate, l'esprit anesthésié, je récupère ma voiture et entame le trajet du retour. La fatigue est là et je me fais violence pour rester alerte.

Ce n'est que lorsque j'aperçois le chemin d'accès à ma propriété que je m'autorise à me détendre.

Sur un pilier en pierres taillées, une plaque en céramique aux couleurs de la Provence nous annonce : « Bienvenue aux Cigales bleues ».

Une allée goudronnée, bordée d'une série d'amandiers, m'accueille et me guide jusqu'au portail automatisé de la maison. Une fois ouvert, je me gare à mon emplacement.

Je m'arrête quelques secondes et admire cette bâtisse. Notre bâtisse. Divisée en deux par un hall central, il nous reste le premier étage à rénover et la charge n'en est pas des moindres. Nous avons déjà fait le rez-de-chaussée, aménagé la terrasse et créé des passerelles afin d'y accéder.

Je pousse un soupir auquel je ne peux attribuer de sentiment précis : à la fois une fierté de ce chemin parcouru teinté d'une honte cachée de mes actes non méritoires.

Un autre soupir, plus imposant, chasse le premier qui est empli de tristesse. Je n'en ai pas le droit, le soleil brille encore au-dessus de moi.

Je dépasse l'entrée et pénètre dans le couloir qui mène aux chambres des garçons. L'avantage de ces vieilles pierres, c'est que malgré la chaleur, elles permettent de garder une certaine fraîcheur lors des saisons chaudes. Heureusement, car nous n'avons pas encore installé la climatisation...

— Tu comptes rester devant la porte toute la matinée ? Tu entres ou il faut que je vienne te chercher ? me lance soudain une voix grave derrière la porte entrouverte.

ÂmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant