Chapitre 2

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Dôme 134 (Paris)

La journée avait très mal commencé pour Théo. Debout depuis six heures du matin, il n'avait quasiment pas dormi de la nuit. Ses insomnies étaient revenues depuis quelque temps, l'empêchant de se reposer convenablement.

Il pensait que cette fois-ci, ses nouveaux médicaments marcheraient mais non, rien n'y faisait, il n'arrivait toujours pas à dormir plus de quatre heures d'affilée. Ayant beaucoup de responsabilité, Théo se sentait obligé de cacher son état à son entourage. Il ne pouvait pas se permettre de se montrer vulnérable. Ses ennemis en profiteraient...

Cependant, il ne pouvait nier qu'à cause de son manque de sommeil il n'arrivait pas à suivre ses cours à la fac. Assis sur le banc de l'amphithéâtre, il essayait de toutes ses forces de prendre des notes, mais les phrases qui sortaient de la bouche de son professeur lui paraissaient lointaines. Comme une succession de mots sans le moindre sens. Prenant conscience qu'il n'arriverait à rien aujourd'hui, il décida de partir à la pause pour rentrer chez lui et se reposer un peu. Il devait absolument être en pleine forme pour la réunion de ce soir.

- Où tu vas comme ça ? demanda Havi, son voisin de table.

- Je rentre chez moi, je ne me sens pas très bien, lui répondit-il.

- Ouais c'est ça tu as juste envie de sécher. En même temps, je te comprends, personne dans cet amphi n'est psychologiquement préparé à survivre à trois heures de droit écologique dès le matin. Surtout que la moitié, dont moi, ne se sont pas encore remis de la soirée étudiante d'hier.

Théo esquissa un petit sourire. Il avait refusé l'invitation d'Havi à la soirée étudiante, mais il avait entendu qu'elle avait fini tard bien après le couvre-feu. Il comprenait maintenant pourquoi une bonne partie des élèves paraissaient encore endormie. 

- Non, sérieusement, je ne me sens vraiment pas très bien. J'ai dû manger quelque chose qui a mal passé ce matin. Mais si toi tu veux vraiment sécher les cours tu n'as qu'à m'accompagner. 

- Moi ? Sécher ? ricana son ami. Et puis quoi encore ! Les exams sont dans même pas deux semaines je te rappelle ! Contrairement à toi, je ne peux pas me permettre de sécher la moitié des cours d'un semestre et avoir quand même de super notes ! Je reste, même si ça va sûrement me coûter la moitié de mes capacités neurologiques. À midi, mon cerveau va griller j'en suis sûr ! Tu crois que je pourrais porter plainte contre l'université pour "atteinte aux capacités mentales dus à des cours barbants" ?

Théo éclata de rire. Havi avait raison, il possédait des capacités de mémorisation hors normes. Cela lui était bien pratique pour réviser des cours qu'il n'avait presque jamais suivis depuis le début de l'année. Il savait que son ami plaisantait en lui faisant remarquer mais il ne pouvait s'empêcher de déceler une pointe de jalousie dans ses propos. De toute façon, c'était probablement le cas de tous les élèves de sa promotion. Il s'était fait une petite réputation comme étant "l'étudiant jamais là, mais qui réussit tous les examens". Même les profs connaissaient maintenant sa renommée "d'étudiant de passage". Au début, cela lui avait valu pas mal de problèmes. Il avait dû trouver une excuse bidon pour berner tout le monde. Il s'était fait fabriquer un faux contrat de travail pour le montrer à ses professeurs et expliquer ses nombreuses absences. 

Heureusement, l'excuse avait marché. Personne ne cherchait des ennuis avec un étudiant orphelin, sans le sous, qui cherchait à réussir ses études. Sa couverture était parfaite.

Théo salua Havi et sortit de l'amphithéâtre. Il se dirigea alors vers les toilettes de la fac. Il s'assura qu'il était bien seul et ferma la porte à clé. Là, il s'approcha du miroir et regarda attentivement son reflet : un visage arrondi, des yeux d'un noir profond et des cheveux châtain en bataille qu'il avait teints il y a quelques années. Son apparence était bien loin de ce à quoi il ressemblait ce matin en se levant : de longues cernes et un teint blafard à faire peur aux enfants. Heureusement, le maquillage faisait des miracles. Il avait toujours une trousse de secours dans son sac au cas où il devait cacher d'urgence son état de mort-vivant.

De la poche de sa veste, il sortit une petite boîte. Là, il enleva ses lentilles de contact et les replaça dans son étui d'origine. Il se sentit aussitôt revivre. La fatigue lui irritait énormément les yeux. Mettre des lentilles tous les jours lui faisait mal, il avait besoin de les enlever rien que dix minutes pour reposer ses yeux sensibles. Il se regarda à nouveau dans la glace, le noir profond de ses iris s'était transformé en deux couleurs : bleu et vert. Théo souffrait d'hétérochromie depuis tout petit. Il était né avec deux yeux de couleurs différentes. Ce n'était pas dangereux en soi, mais cela l'empêchait de se montrer au monde extérieur. Avoir des yeux vairons attiraient l'attention, on se souvenait plus facilement d'une personne ayant ce type de distinction. Cela, il ne pouvait pas se le permettre. Il devait être passe-partout afin que personne ne le remarque. 

Quand Théo se sentit mieux, il remit ses lentilles et sortit des toilettes. Là, Il poussa les portes de l'université où il pouvait enfin respirer l'air de dehors. La lumière du soleil lui agressa les yeux et lui fit pousser un petit cri de douleur. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu un rayon lumineux ? Des semaines, peut-être même des mois. Il faut dire que la Zone 1, était l'un des endroits du monde les plus touchés par le changement de température du Krach Écologique. Si le Dôme 134 atteignait les trente jours de soleil en une année, c'était déjà un miracle... Théo avait entendu que le GMKE avait pour projet de travailler avec l'entreprise Air-Cycle pour retrouver des températures normales. Pour le moment, c'était encore un projet secret mais qui n'allait pas tarder à être rendu public. Encore une propagande de plus qu'il devait contrer par tous les moyens... Ses deux pires ennemis allaient travailler main dans la main officiellement. Il ne pouvait pas se permettre de rester là, les bras croisés sans rien faire. Il avait déjà en tête un projet d'action pour contrer cette alliance.

Sur le chemin du retour, Théo s'arrêta un moment devant un kiosque à journaux. Il aperçut une foule se presser pour acheter le journal de ce matin. Intrigué par ce rassemblement, il décida à son tour de s'approcher. Il se fraya un chemin non sans mal à travers cette masse agglutinée. Arrivé au bout, il lut la une du journal Info 134. Il crut d'abord à une mauvaise blague et relut à nouveau la phrase. Ses yeux se figèrent sur la photo qui accompagnait l'article. Il ne pouvait pas y croire. Là, sous ses yeux il lut la une :

Marc Lechier a été assassiné !

Les mains tremblantes, il sentit sa tête tourner et sa respiration s'accélérer. Non pas ça. Pas Marc. se dit-il

Il se sentait déchiré de toute part. Tiraillé entre l'envie de hurler et de tout casser.

Il comprit alors qu'il venait de perdre un ami et plus encore.

Il avait perdu Marc, son bras droit.  

Les MarquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant