Chapitre 11 - Secret

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-Alexandre, j'aimerais qu'on parle.

Elias avait prononcé ces mots d'une voix ferme, bien qu'Alexandre put y déceler une pointe de tristesse. A peine était-il rentré de son étrange matinée aux côtés de Romane que le vieux El lui avait dit cette phrase. Terrifié, Alexandre pensa d'abord qu'il avait été témoin de la scène surnaturelle qui s'était déroulée plusieurs minutes auparavant, mais lorsqu'Elias continua, ses craintes s'apaisèrent.

-Je vais pas y aller par quatre chemins, j'te reconnais plus. T'es presque plus aux champs avec nous, tu me parles à peine, tu t'isoles pour faire on ne sait quoi. J'ai déjà perdu un fils Alexandre, ne me fais pas regretter de t'avoir laissé prendre son nom. J'ai pas envie de ressentir une deuxième fois la douleur de l'absence. Si des choses te tracassent, parle-moi mon gars, si y a bien une personne dans cette ville qui va pas te juger c'est bien moi ! J'en ai vu passer des gens, ils avaient tous leurs problèmes et leurs préoccupations. Mais ça restait des femmes et des hommes comme toi et moi.

Debout dans l'embrasure de la porte, Alexandre était figé. La honte l'envahissait, fracassante, elle s'était abattue sur sa tête. Tant de jours passés à élaborer un plan pour abandonner la terre qui l'avait accueilli. Et les gens qu'il y avait rencontré.
Il regarda Elias, assit à la table à manger, affairé sur un petit objet qu'Alexandre n'arrivait pas à identifier.

-Elias... commença-t-il, je...

-Bien sûr je veux pas te jeter la pierre ! l'interrompit le paysan. T'es jeune et tu te poses des questions j'ai bien compris, surtout avec cette histoire d'amnésie. Mais tu sais je...

-J'ai construit un bateau, coupa Alexandre.

Elias sentit son estomac se tordre, comme s'il était comprimé par un géant aux mains d'acier. Il n'aurait jamais imaginé que les nombreuses absences d'Alexandre signifiaient qu'il comptait s'en aller.
Il baissa la tête, l'air grave, tentant de remettre ses idées en place.

-Mais je ne m'en servirais pas.

Elias releva la tête. Alexandre avait refermé la porte derrière lui et s'avança pour s'asseoir en face du vieux paysan.

-Je ne partirais pas, parce que même s'il y a peut-être quelqu'un qui m'attend avec toutes les années qui manquent à ma mémoire, la place du Alexandre d'aujourd'hui est ici. Je suis désolé de vous avoir causé tant de peine, mais c'est terminé. Je reste sur cette île, car je m'y sens bien, j'ai rencontré des gens formidables et...

Il baissa la voix, achevant sa phrase en plein milieu. Elias n'osa pas intervenir.

-Et j'ai envie de comprendre ce qui se trame là-haut, par-delà les murailles de la Haute-Ville. Je veux comprendre et maintenant j'ai découvert que...

Alexandre marqua une seconde pause, inspira profondément et expira doucement.

-J'ai découvert que ce bateau aurait pris l'eau en deux jours de toute façon.

Il rit, et bien que le vieux paysan sentit que son rire était un peu forcé, il rit avec lui, et voyant leur complicité retrouvée, Elias se sentit bien.
Il tendit la main et l'ouvrit, paume vers le plafond. Alexandre se pencha pour voir ce qu'il s'y trouvait. Il y découvrit une petite sculpture en bois. De forme rectangulaire, elle était accrochée à un petit fil noir noué.

-C'est une tour, une tour de muraille. Je me suis dit qu'un jour, toi, tu passeras ces murailles. Tu iras voir à quoi ressemble la Haute-Ville, j'en suis sûr. Et jusqu'à ce que tu y arrives, j'aimerais que tu portes ce pendentif. Je l'ai fait moi-même, et je voulais te l'offrir aujourd'hui parce que, tu sais...

Alexandre avait du mal à voir où le vieux El voulait en venir.

-Aujourd'hui ça fait un an que tu es arrivé ici, donc on peut dire que c'est un peu ton anniversaire.

Un an ? Déjà ? Alexandre n'en revenait pas. Il avait l'impression de n'être là que depuis quelques mois. Il avait complètement perdu la notion du temps lorsqu'il avait commencé à construire son embarcation. Il se sentait désolé, tellement désolé.

-Joyeux anniversaire Alex, lança El d'une voix joyeuse, mêlée de mélancolie.

Il lâcha la petite tour en bois dans la main d'Alexandre. Ce-dernier la passa autour de son cou. Le bois était doux et lisse, signe que le vieux paysan avait durement travaillé pour la fabriquer.

-Merci, répondit-il, je suis désolé de vous avoir tellement abandonné. Rassurez-vous, je ne partirais pas avant d'avoir compris ce qu'il se passe sur cette île.

-Je t'en prie mon gars, ça me fait vraiment plaisir.

Elias se leva et se dirigea vers sa chambre. Alexandre le suivit des yeux.
Il avait déjà tenté par deux fois de parler au vieux paysan de son mystérieux pouvoir, mais à chaque fois, il se sentait bloqué. Cependant, il savait qu'il pouvait faire confiance au vieux El.

-Attendez, j'ai quelque chose à vous dire.

-Ouais ? Dis-moi, répliqua El.

-Je... Vous pourrez m'apprendre à sculpter le bois ?

Elias haussa un sourcil, l'air surpris, puis il sourit sincèrement.

-Avec plaisir Alex, je serais heureux de t'instruire. Bonne nuit.

-Bonne nuit, Elias.

La porte claqua et Alexandre s'en voulu de ne lui avoir pas dit. Mais il vaudrait mieux lui montrer demain, en plein jour. 

Et puis... Il avait vraiment envie d'apprendre à sculpter le bois !

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