NARCISSISME

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[POV Warren]

Je détache enfin mon regard de l'écran du pc. 7h38. Il me reste encore beaucoup à faire... Je me relève en me dirigeant vers ma chambre. Je choisis une tenue plus détente pour aller au labo, de toute façon j'allais la recouvrir d'une blouse. Je prépare soigneusement mes affaires : pc, tablette, carnets, tenue de rechange pour la conférence que je donnerai cet après-midi. Il faudrait peut-être que je fasse une pause ? Hmpf. Je ris intérieurement à ma propre blague. Arrêter de travailler ? Et quoi d'autre ?! Je suis un ingénieur, scientifique et inventeur de génie ! Le repos est bon pour les gens qui n'ont pas de talent.Le monde a besoin de gens comme moi qui font avancer les choses. Je travaille en ce moment à la création d'un réacteur à fission nucléaire, cela fait trois ans que le projet est en cours. Il demande beaucoup d'efforts et d'investissements mais ce genre de sacrifice ne me pose aucun problème. J'y travaille jour et nuit. Je n'ai absolument rien à perdre, toute autre activité est secondaire. La science avant tout !

Après une bonne douche, j'enfilais les vêtements choisis au préalable. Et j'attendais impatiemment mon nouvel associé. Décidemment il n'était pas toujours très ponctuel... Ah le voilà enfin ! Je le regardais prendre mes affaires avant de se diriger vers la sortie, je le suivais tranquillement mon téléphone portable à la main. Max m'avait envoyé un message, cela faisait très longtemps que l'on ne s'était pas vu. J'esquissais un léger sourire en lui répondant.

« Trouvez-moi un créneau horaire pour recevoir une invitée d'ici deux semaines. »Demandais-je à l'homme qui se tenait péniblement à côté de moi et qui fixait ses chaussures depuis que nous étions entrés dans l'ascenseur.

Peut-être était-il claustrophobe ? De toute façon c'est sans grande importance. J'ai d'autres choses à faire plutôt que de m'apitoyer sur le sort de ce Nathan. Après tout il est chanceux d'avoir eu ce poste !Si je m'étais chargé de l'engagement je n'aurais pas choisi ce type-là. Il avait l'allure d'un voyou, d'un homme instable à problème. Comment je vois-ça ? Facies : Barbe de trois jours, regard dans le vide, yeux brumeux, mâchoire aux traits rigides... Je remarquais même une cicatrice le long du muscle peaucier de son cou, sous l'angle de sa mâchoire. Sans parler de sa dégaine : légèrement vouté, les mains ballantes qui résistaient à l'envie de plonger dans ses poches... Le genre de mec infréquentable. Enfin... je lui donne une seconde chance en le faisant travailler à mon service.Peut-être n'était-il pas si bon à rien que cela. Jusqu'à présent il était loin d'être exceptionnel... un peu maladroit même. Je repensais au moment où il était dans mon bureau torse nu par faute d'inattention, je m'étais beaucoup amusé de cette situation.

Je fus sorti de mes pensées moqueuses quand nous descendîmes de l'ascenseur, je le suivis patiemment jusqu'à la voiture. Je m'installai à l'arrière me concentrant sur le paysage. J'avais besoin de m'aérer un peu l'esprit pour travailler dans de meilleures conditions. Je lui indiquai le bâtiment, et il s'arrêta devant comme prévu. En sortant, je me penchai simplement vers sa fenêtre pour lui donner un second point de rendez-vous avant la conférence de l'après-midi. Il était resté les yeux rivés sur le volant, c'était plutôt amusant de l'intimider de la sorte.

Le reste de la matinée passa extrêmement vite, je travaillais sur les plans de construction de la machine à fission. Tout le travail se résumait à calculer, calculer et encore calculer les dimensions idéales, résistances des matériaux et réactions en chaînes pour anticiper les éventuelles erreurs... Et ce, tout en respectant le budget médiocre imposé au projet. Même si nous étions fortement subventionnés par l'état de Washington, le manque de fond ce faisait rapidement problématique sur un projet avec autant d'ampleur. Depuis quelques mois, nous avions réussi à être subventionnés par des nations étrangères, après tout le projet concernerait le monde entier. Je travaillais donc toute la journée en présence de génies scientifiques de toutes les origines... La maîtrise des langues étrangères n'était plus un problème depuis longtemps. J'étais également directeur d'équipe de recherche. A vingt-et-un ans, j'étais le plus jeune de tout l'état de Washington. J'en étais très fier, après tout j'avais énormément travaillé pour ça. L'argent n'était plus vraiment un problème, j'en envoyais régulièrement à mes parents, le reste finissait presque toujours dans mes projets.

A midi, je décidai de prendre une légère pause pour rédiger l'introduction de la conférence. J'en avais déjà tant fait que la plupart du temps j'improvisais sur le moment. Je connaissais évidemment parfaitement mon sujet, j'étais juste un peu perfectionniste. A 13h43, le « Bad boy » est passé me récupérer... Sa timidité est extrêmement risible, après tout je ne lui demande pas de me faire la discussion. Je me concentrai très vite sur mon discours d'entrée, si bien que j'oubliai de lui donner les instructions pour la conférence. Il ne semblait pas stupide car il me suivit silencieusement jusqu'à une des salles qui servait de loge. Là, il me tendit une tenue plus appropriée. Je la pris simplement et me changeai tranquillement devant lui, en lui tendant au fur et à mesure les anciens vêtements. Il était planté là, au milieu de la salle, comme un porte-manteau. S'en était absolument ridicule. Ça me rappelait étrangement la scène de la veille où il était resté pétrifié devant moi...Pfff, soupirais-je bruyamment. Il fallait que j'arrête de juger ce pauvre type, il méritait tout de même une once de respect... Même s'il m'amusait vraiment avec son air coincé, à côté de la plaque... Quoiqu'à présent il devait comprendre que je me moquais de lui puisqu'il fulminait intérieurement en fixant le sol.

« Attendez-moi dans la grande salle et détendez-vous, vous allez rencontrer des personnalités importantes soyez à leur service. » Lui lançais-je pour détendre un peu l'atmosphère et lui passer mes consignes.

Alors qu'il ramassait mes affaires, je passais à sa hauteur et posais une main sur son épaule. « Soyez à la hauteur », lui dis-je sur un ton que j'aurais voulu plus doux. Je le senti frissonner et le vis blêmir. Je soupirais intérieurement, avant de m'arrêter quelques secondes de nouveau. Je plantai mon regard dans ses yeux ou je décelais une émotion inquiétante.

« Ça ne sera pas long. Si vous vous sentez mal vous pouvez rentrer, la conférence se termine à 15h55. » Lui dis-je calmement. De toute évidence quelque chose dans mes propos l'avait profondément déstabilisé. J'allais détourner le regard devant son manque de réaction quand il releva les yeux vers moi. La mâchoire serrée, il me lança un regard noir qu'il soutenu.

« Ne vous en faites pas. Je le serai », siffla-t-il en détachant son regard haineux du mien et en s'éloignant rapidement vers la grande salle.

Je restais interdit pendant quelques minutes. A ce moment-là, ses yeux s'étaient amplis d'une rage innommable et avaient trahi une douleur sourde. Jamais je n'avais vu cette lueur dans le regard de quelqu'un. Excepté le jour où Max s'était confié à moi, qu'elle avait évoqué le nom de Chloé à demi-voix. Mais il n'était pas question de remord ou de tristesse dans le regard de ce Nathan, mais de colère.

« Mr. Graham... on vous attend pour commencer... » Osa interrompre une voix d'homme. C'était le directeur de la faculté.

« J'arrive », sifflais-je, contraint malgré moi d'interrompre le fil de ma réflexion. Je me dirigeai alors sur la scène me remémorant péniblement l'introduction de ma présentation, le regard sombre de Nathan hantant encore mes pensées.

Grahamscott [TOME 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant