chapitre 18 : gentleman

65 5 2
                                    

Voilà déjà plus d'une heure que nous jouons au scrabble avec Harry et je commence à regretter d'avoir choisi ce jeu. Face à cet homme bicentenaire, je ne mène pas large avec mes mots de quatre lettres et mon score de 122 points. Le vampire érudit mène le jeu d'une main de maître avec un score de 374 points, largement au-dessus du mien. Avec des mots comme rataconner ou gabareau, je ne suis plus sûre de suivre le jeu, encore moins quand il me regarde avec son air suffisant. J'aurais peut-être dû choisir le UNO ou mieux encore, le Monopoly.

— Ça va ? Tu m'as l'air... désorientée.

Je lui adresse un sourire de connivence en guise de réponse et me reconcentre sur les lettres minables que je viens de piocher à l'instant. Je ne vois pas l'ombre d'un mot assez long qui m'aiderait à remonter la pente.

— Écoute, on sait déjà qui de nous deux a gagné.

— On continue de jouer malgré tout. Tu as peur de perdre ? je réplique la tête haute.

— Si tu tiens tant à te faire ridiculiser, pas de problème.

Et comme pour illustrer sa phrase, le vampire me sort comme dernière carte dans sa manche un mot qui a le don de me déstabiliser et le fait gagner 48 points.

— Tacamaque ? Non mais c'est quoi encore comme mot ?

— C'est une résine peu utilisée qui provient d'un arbre, le Calophyllum inophyllum, de la famille du calophylle, répète t-il fier comme un savant.

— T'aurais juste pu mettre résine aussi, hein, Wikipedia !

— C'est ton tour, Miss Teletubbies !

Il me traite de Teletubbies, rien que ça ? Il va voir ce qu'il va voir.

T'as intérêt à l'impressionner, Bess.

Et comment que je compte bien l'impressionner en utilisant la seule lettre forte que j'ai en ma possession. F. En triplant mon score, j'aurais peut-être une chance de rattraper l'écart qu'il a creusé, mais il s'agit maintenant de savoir, comment je vais l'utiliser ce F. Je ne vois même pas l'esquisse d'un mot cohérent se profiler dans ma tête où y règne un bordel démentiel.

J'ai beau fouiller dans chaque recoin, essayer de me souvenir d'un super mot qui contiendrait cette foutu lettre F comme Fameux ou Fantasme, histoire de gratter quelques points de plus, sauf que je n'ai aucune possibilité de former tous ces mots. La triste réalité me rattrape vite et mon cerveau déjà en surchauffe ne réussit qu'à me mettre ce fichu mot sous le nez : fée. Un mot dont je n'oserais même pas me servir face au grand cerveau de Faust qui va me rire au nez, ça j'en suis plus que certaine.

— Alors, ça vient ? me presse t-il, impatient.

— Une minute !

La minute en question passe et toujours rien. J'en suis à me demander si j'ai réellement le QI d'un adulte normalement constitué ou celui d'un pot de yaourt. Faust s'est montré sans pitié ce coup ci, tellement que j'en ai une envie irrépressible de chialer. Mélangé à cela, mes hormones qui ne cessent de me travailler, me contrôler va s'avérer être mission impossible. Pitoyable !

J'en ai ras la casquette de ce cinéma !

Frustrée, j'enrage intérieurement en espérant pouvoir gérer mes nerfs, mais c'est impossible. Je retiens tout en moi depuis trop longtemps. Ce qui devait arriver, arriva. J'explose. D'un mouvement rageux, je renverse le plateau de jeu avant de me lever d'un bond. Je ne sais pas bien ce qu'il se passe, mais ça brûle en moi. Beaucoup trop. Et pas seulement à cause du jeu, non... C'est beaucoup plus que ça. Tellement plus.

— T'as gagné ! Tu peux être fier de toi Einstein ! Maintenant dégage !

Je le lui ordonne en lui indiquant la sortie, les larmes au bord des yeux.

MARYBESS : le fruit d'un amour interdit Où les histoires vivent. Découvrez maintenant