Chapitre 1 : Le rouleau de papier toilettes a un dentier.

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- Ze dogue is tireude bicoze hi ranne euwey véri fast.


J'y avais donné tout mon cœur pour avoir cet accent stylé des Anglais que tout le monde rêvait d'avoir, celui-là même que tu essaies de développer désespérément devant ton miroir avec ton livre dans la main et une moustache noire au-dessus de la bouche pour faire genre « i'm totally in the mood ».


- No Gwen, the dog is tired because he ran away very fast.


C'est ça vieux chnoque, tu vas voir, bientôt ce sera plus ton dog mais toi et ton crâne chauve qui vous enfuiront lorsque je t'aurai botté le...


- C'est bien ce que je viens de dire, rétorquai-je d'un ton que je voulais neutre.


Il fallait bien que j'intervienne avant que je ne décide d'activer accidentellement le haut-parleur de mes pensées.


- In English please, soupira le professeur d'anglais en roulant des yeux.


-B-but...


À peine j'eus prononcé ce petit mot que je fondis en larmes. Pas le genre de petit sanglot discret, non, les espèces de hoquets bruyants et répugnants qui vous font dégouliner de la morve de votre petit nez rose en une fraction de seconde.


- Toute façon votre cours, il sert à rien, pleurnichai-je en lançant nerveusement des bouts de ma gomme sur l'élève de devant. Vous êtes nul, je suis sûre qu'on vous a employé juste parce que vos yeux sont trop p'tits pour remarquer qu'il manque des chiffres sur votre fiche de paye.


Le professeur retira ses lunettes d'un geste vif et parcourut la classe de son regard flamboyant, s'attardant quelques secondes sur Kevin qui gribouillait des dessins malpropres sur le cahier de son voisin. Puis il lâcha :


- Ces enculés.


Il balança inconsciemment ses lorgnettes dans la corbeille avant de s'éloigner rapidement hors de la salle de classe de ses petites jambes boudinées, marmonnant des jurons indignés. J'étais contente. Virer un prof de la classe, c'était un exploit incroyable dans le monde des morveux. Je reniflai bruyamment, très bruyamment, à ce moment-là, et tout le monde ne sembla remarquer qu'à cet instant que je n'étais pas dans mon assiette. Sauf que sur ces entrefaites, Kevin ne devait pas crier à toute la classe :


- HÉ REGARDEZ ! GWEN ELLE PLEURE !


Tout le monde, sans exception, tourna brusquement la tête dans ma direction pour me jauger de haut en bas. Je te le jure, j'ai même aperçu la femme de ménage dans le couloir qui me lança un coup d'œil avant de déguerpir en vitesse, sans doute pour aller hurler à son tour dans tout le lycée que mademoiselle Gwen avait laissé ses émotions l'emporter.


Je reniflai encore avec exagération, puis il n'y eut plus aucun bruit. Un silence pesant s'abattit sur toute la classe. Tout le monde s'échangea des regards étranges. Puis, quelqu'un au dernier rang émit un petit gloussement qui s'était voulu discret. Il avait foiré son coup. Et là, comme une vague déferlante, comme un tsunami formidable, un fou-rire secoua la classe toute entière, de Kevin le cancre jusqu'à Rosalie l'intello de service. Les éclats de rire fusèrent de toutes parts, et moi, je me mis à pleurer de plus belle. Même mon amie Cindy, qui était normalement toujours à mes côtés, explosa de rire. Un rire fort et stupide. Oui, un rire stupide. Je crois même qu'elle avait les lames aux yeux. Après quelques secondes à être écroulée sur sa table, elle me regarda, droit dans le nez, et remarqua peut-être enfin que mon visage était vraiment baigné de larmes. Sa mine demeura figée en une expression neutre, comme si elle avait finalement analysé le fait qu'elle venait de faire une connerie. Car en effet, elle avait fait une connerie! Une grosse connerie, pour tout dire ! Je pleurais toutes les larmes de mon corps, totalement désespérée par la langue de Shakespeare, et elle, elle gloussait comme un dindon.

C'est la fin des haricots.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant