L'héritage de Doanac

Chapitre 3-2

Le chemin du retour lui parut interminable. Chaque minute passée, Dellwina sentait la vie d'Elouan lui glisser un peu plus entre les doigts. Quand, enfin, leur maison fut visible, l'enfant avait perdu connaissance. L'estomac noué, elle ouvrit sa porte à la volée et se précipita dans la cuisine.

- Theona ! Monte dans ta chambre !

- Mais Elou ?

- Arrête de discuter et monte ! insista sa mère d'une voix étranglée.

La petite sursauta et grimpa aussitôt à l'échelle. Sans prêter plus attention à sa fille, elle dégagea la table de la cuisine et allongea le garçon. Lorsqu'elle souleva sa tunique afin de constater l'ampleur de la blessure, le cœur lui manqua et elle demeura figée devant la gravité de la plaie. Se ressaisissant, elle passa rapidement en revue l'intérieur de la pièce. De quoi avait-elle besoin ? Les pensées embrumées, elle interrompit ses réflexions et mit à bouillir de l'eau sur le poêle. Dans la pièce voisine, elle trouva dans son coffre à couture des aiguilles et du fil à coudre. Elle en sortit également plusieurs chutes de tissus. Rassemblant le tout, de retour à la cuisine elle stérilisa aiguilles, fil et tissus dans l'eau bouillante et entreprit la tâche délicate de recoudre la blessure. L'esprit vide, elle sutura la plaie, effectuant machinalement ces gestes qu'elle réalisait d'innombrables fois sur ses tissus. Le saignement s'arrêta enfin puis appliqua sur la suture des compresses de linges propres, et fit de même avec la main du garçon. L'empreinte de la mâchoire laissait supposer un gros chien ou un loup. Dans son for intérieur, elle formula le souhait que l'animal n'ait pas la rage. Dellwina ne pouvait rien accomplir de plus pour lui et l'enveloppa de couvertures épaisses afin de réduire son inconfort. Le jeune garçon présentait encore un visage blafard et inexpressif.

Assisse près de la table, elle gardait sa main serrée dans la sienne. Elle avait abandonné les linges maculés de sang dans la grande bassine et ne trouvait pas la force de tout nettoyer. Elle n'osait toujours pas transporter Elouan dans sa chambre de crainte de faire sauter ses points.

Comment avaient-ils pu penser un seul instant que garder Elouan loin du monde serait une bonne chose pour lui ? Dellwina maudit toutes les années passées à le tenir éloigné de tous. Toutes ces années où ils ne lui avaient pas appris l'essentiel : comment survivre dans ce monde. Elle n'avait jamais pris le temps de lui expliquer quoi faire ou comment se comporter face à des inconnus. Quand Eryane avait confié l'enfant à sa sœur, elle n'avait certainement pas souhaité que la condition de son fils l'oblige à vivre en reclus. Elle espérait pour lui une autre vie. S'ils l'avaient élevé différemment, Elouan aurait su éviter les situations dangereuses. Mais au lieu de cela, ils l'avaient enfermé et isolé, attisant en lui son désir de liberté et sa curiosité. Le prix à payer pour cette révélation était trop élevé pour Dellwina.

La porte d'entrée s'ouvrit et Hoel pénétra dans la grande pièce.

- Dellwina ? Elouan est-il avec toi ? Appela-t-il. Des enfants ont été attaqués dans les collines à l'est et leurs chiens ont été... tué...

Quand il rentra dans la cuisine, le spectacle qu'offrait la pièce lui coupa le souffle. La vue de son neveu allongé sur la table, le teint blanc et le front luisant de sueur avec l'odeur suffocante du sang portée par les vapeurs d'eau le figea. Dellwina lui adressa un regard empli de culpabilité.

- Qu'avons-nous fait... ? L'interrogea-t-elle en pleurant.

- Que s'est-il passé ?

- Elouan est sorti, une fois de plus... quand je l'ai retrouvé il était dans le hangar, expliqua-t-elle. Il a été blessé par un couteau. Quelqu'un s'en est pris à lui... !

Hoel s'approcha de son neveu avec inquiétude. Il rabattit les couvertures et les serra dans ses poings. Outre la plaie suturée par Dellwina, son abdomen était couvert d'hématomes. Il remit soigneusement les couvertures en place. Un silence pesant s'ensuivit. On n'entendait que les sanglots de Dellwina. Hoel alla vers elle et la pris dans ses bras.