Chapitre 6-2

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Il était bientôt midi et le restaurant ne désemplissait pas. Les clients étaient partout. Pour l'instant, Diego me laissait derrière le bar afin que je me familiarise correctement avec la carte des boissons.

Un client arriva au bar et passa sa commande en espagnol. J'étais de plus en plus à cran. Je m'approchai de l'homme d'une soixantaine d'années qui posa son chapeau sur le comptoir et commença à lire son journal.

— En Anglais ! lui indiquai-je à bout de nerfs.

Ce dernier releva la tête, l'air surpris puis recula ses épaules.

— En Anglais ? répéta-t-il sur un ton mauvais. Bon sang, mais où te crois-tu ?

Il continua de s'agacer en espagnol. Je posai mes deux mains à plat sur le comptoir et avançai mes épaules vers lui, le regard menaçant.

— Je ne comprends rien à ce que tu me dis. Si tu ne passes pas cette foutue commande en anglais, je ne te sers rien du tout !

Diego arriva derrière moi et posa lourdement ses deux mains sur mes épaules en signe d'avertissement.

— Salut, Dante. Comment ça va ce matin ? C'est le premier jour de Desya, il n'a pas l'habitude.

L'homme haussa les épaules avant de répondre, la mine froissée :

— Ton serveur me demande de parler anglais. C'est quoi ces nouvelles règles ? Dans le Barrio, personne ne parle anglais !

Le dialogue continua en espagnol entre les deux hommes. Diego bougeait sa main devant lui afin d'assurer au client que tout allait bien.

— Dante, le Marcus Café s'excuse pour ce mal entendu. Allez, on t'offre le brunch. Ça te va ?

L'homme se calma puis me jeta un coup d'œil mauvais qui ne m'atteint pas. Diego se tourna vers moi et murmura la mâchoire serrée :

— Olsen vient avec moi une minute, je dois te parler !

Dans la cuisine, à l'abri des regards, mon responsable était rouge de colère.

— Si tu n'étais pas envoyé par Blue, je te virerais d'ici avec un coup de pied au cul, s'insurgeait Diego.

Les bras croisés, appuyé contre le mur, je l'écoutai tranquillement déverser toute sa colère. Il se rapprocha de moi, l'index pointait dans ma direction.

— Écoute-moi bien, petit con, ajouta-t-il les yeux en dehors de leur orbite. Plus jamais tu ne parles à un client sur ce ton. Je t'ai donné un dictionnaire d'espagnol, c'est pour t'en servir. Encore un seul dérapage et je t'assure que le juge aura vent de cette histoire.

Diego baissa sa voix pour la rendre plus menaçante.

— Je ne veux pas de ça chez moi, l'américain. Tu laisses ces conneries à la porte de ce restaurant. Est-ce bien clair ? Ici, tu es chez nous, n'oublie jamais ça. C'est toi l'étranger.

Je hochai la tête en le fixant droit dans les yeux. Diego, comme Bluebell, avait les cartes de mon avenir entre les mains. Cette pensée me révoltait intérieurement. J'étais coincé ici avec leur culture, leur langue, leur code et je ne pouvais pas faire autrement. Ces prochains mois allaient être un enfer, mais je devais tenir quitte à faire semblant de m'intégrer dans cette communauté que je haïssais tant.

— Je suis désolé, Diego. Ça ne se reproduira plus.

L'homme soutint mon regard encore quelques instants avant de relâcher ses épaules. Il se recula et déclara sur un ton grave, les traits crispés :

— Je l'espère pour toi.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant