Chapitre 11-2

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Le débat continua dans une vive discussion. Chacun d'entre eux voulait raconter sa propre histoire, sa propre expérience. J'animai le groupe en donnant la parole à chacun d'entre eux et calmais le débat quand c'était nécessaire.

Soudain Bernardo interpella Desya qui écoutait silencieusement depuis le début.

— Et toi, l'Américain ? Que ferais-tu pour la population défavorisée d'Harlem si tu étais riche ? Ferais-tu en sorte d'améliorer nos conditions de travail et de vie dans le pays ?

Envahi par un élan de panique, je déglutis difficilement. Olsen n'était pas du genre à macher ses mots ni à cacher son mauvais ressenti pour les membres de ma communauté envers qui il n'éprouvait que mépris et haine. D'une voix aussi lointaine que son expression, il déclara avec une voix trainante :

— Les hispaniques font partie de cette population que vous dites défavorisée. Je leur dirai donc que les États-Unis ne sont pas un pays pour eux et qu'il appartient au blanc. Je serai même prêt à leur payer un billet d'avion si j'étais certain qu'aucun d'entre eux ne remette jamais un pied sur ce sol.

Un silence lourd de sous-entendus s'ensuivit. Au bord du malaise, je fermai les yeux aussi forts que possible. Quand je rouvris les paupières, tout le monde se jetait des regards inquiets, l'air dérouté. Je jetai un coup d'œil mauvais à Desya, lui montrant à quel point ses paroles m'irritaient. Bernardo haussa un sourcil dédaigneux.

— Fiston, je respecte ta façon de penser. Je ne te juge pas. Seulement, ce pays marche aussi en grande partie grâce à cette économie que nous lui apportons. La main-d'œuvre latinos est bon marché et nous faisons des métiers difficiles et pénibles qu'un blanc comme toi ne voudrait pas faire.

Je tournai mon visage vers Desya. À son expression, je devinai qu'il n'était pas d'accord.

— Vous prenez les métiers à des américains qui en ont vraiment besoin. Vous parlez comme si nous étions incapables de nous débrouiller seuls, la vérité c'est que l'on serait mieux sans vous. Vous ne faites même pas l'effort de parler notre langue.

Faisant de son mieux pour ne pas s'emporter, Bernardo répondit :

— Tu te trompes. Nous sommes minoritaires et souvent victimes de préjugés comme ceux-là. C'est parce que nous nous sentons traités différemment, inéquitablement, ici, aux États-Unis que nous nous regroupons afin de protéger nos droits. Tu n'imagines pas l'effet que ça fait lorsque le service de l'immigration fait une descente chez toi et tu ne le sauras jamais. Fiston, quand tes mains seront abîmées et moins douces reviens me parler de travail et de réussite sociale, là je te prendrais au sérieux.

Desya redressa ses épaules et considéra son interlocuteur d'un air sévère, mais Bernardo ne se laissa pas décontenancer le moins du monde. Olsen lâcha sur un ton cinglant :

— Vous aimez votre pays d'origine, mais vous ne voulez pas y vivre ! Vous ne voulez jamais ce que l'on vous offre sur un plateau, non, ça ne vous suffit jamais. Vous, les hispaniques, vous aimez nous prendre nos choses, nos territoires, notre travail. Vous êtes à mes yeux, la pire race qui existe sur Terre.

— Desya, assez ! le coupai-je, furieuse.

Ses paroles effroyables faisaient froid dans le dos. Le jeune homme regarda chaque membre un par un dans les yeux avec une satisfaction farouche sur le visage. De mon côté, j'avais du mal à respirer. Tous mes muscles étaient contractés et me faisaient souffrir.

— Cette réunion est terminée, déclarais-je la voix vibrante d'émotion tout en regardant Desya bien en face.

Les membres du groupe approuvèrent, décontenancés eux aussi. Certains secouaient la tête. D'autres insultaient Desya à voix basse, en espagnol. La bonne ambiance du début avait totalement disparu.

Nous terminâmes la séance avec une prière à haute voix. Desya ne prit pas la peine de la réciter avec nous.

Pendant que tout le monde se levait pour partir, j'ordonnai à Desya de m'attendre dans le bureau, à côté puis je me dépêchai de rejoindre Bernardo avant qu'il ne franchisse le seuil de la porte.

— Je suis sincèrement désolée des paroles de Desya. Je ne veux pas que vous...

— Je sais, ma fille. C'est quelqu'un qui n'a pas encore vu le monde. Il va apprendre. Tu vas lui montrer.

La main de Bernardo sur mon épaule m'apaisa. Il n'avait pas l'air furieux.

— Blue, j'ai déjà bien vécu et ce n'est pas lui et ses paroles qui vont remettre ma vie en cause. Nous n'allons pas te laisser tomber.

Pendant qu'il me rassurait, d'autres sortaient en me jetant des regards en coin, visiblement pas très content du comportement du nouveau venu. Mal à l'aise, j'esquissai de petits sourires d'excuses.

Je refermai la porte derrière Bernardo et collai mon front dessus en soupirant profondément. Jamais de ma vie je n'avais connu pareille situation. Il était temps de me confronter à Desya. Le plus difficile allait être de garder mon calme. Dans une prière silencieuse, je suppliai la vierge de Guadalupe de me m'aider.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant