Chapitre 21-2

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L'ambiance à l'intérieur du Marcus était plus animée que d'habitude. Tout le monde avait sorti le costume pour l'occasion et les sourires se cachaient sous des maquillages terrifiants. L'équipe que Diego avait mise sur pied pour cette semaine de fête travaillait d'arrachepied. J'avais du mal à trouver les filles au milieu de la foule. Soudain, la main de June qui s'agitait au fond de la salle, attira mon attention. Ma cousine m'attendait avec Shelby pour une pause bien méritée.

Nous étions serrés les uns contre les autres. Épuisée, je m'assis en face des filles et posai ma tête contre le mur pour souffler. Mon maquillage cachait judicieusement mes traits fatigués ainsi que ma tristesse incommensurable.

— Shelby t'a commandé ta salade d'avocat, me dit June.

— Merci. Désolée pour le retard. Le défilé a duré plus longtemps que prévu.

— Les enfants ont-ils aimé ? demanda Shelby, en piochant des tapas dans le plat.

— Oui, ils attendaient avec impatience de voir leur "Catrina" apparaître dans la parade. Ils ont explosé de joie quand elle est passée devant eux sur le char.

— J'aurais aimé être là. Cette fête attire beaucoup de touristes dans la boutique, nous n'avons pas arrêté avec June, ce matin.

— Heureusement, nous avons l'après-midi pour profiter des festivités, rétorqua ma cousine. Peu de patrons laissent du temps libre à leurs salariés durant cette fête.

Angèle arriva à cet instant avec nos plats. Je remis une mèche de cheveux derrière mon oreille et la remerciai. Je brûlai d'envie de lui demander si elle avait des nouvelles de Desya, mais avec les filles à côté de moi, et surtout Shelby, c'était impossible de l'interroger à son sujet. Je ravalai ma contrariété et essayais de paraître le plus normale possible. Lorsque Angèle nous laissa, je la suivis des yeux en me convainquant de trouver un moyen de l'approcher avant de quitter le restaurant. Je ne pouvais pas partir d'ici sans savoir.

— Demain matin, les équipes ont besoin de mains pour maquiller les habitants du quartier. Pourras-tu être là ?

Concentrée sur ce qui se passait au bar, de l'autre côté, la question de June me parvint de très loin.

— Blue ? insista Shelby à son tour.

Je revins brusquement sur les filles.

— Demain matin ? Non, je serais au foyer de "Luz de Oración" pour préparer les offrandes aux morts. Mais je serais disponible quelques heures, l'après-midi.

Shelby claqua dans ses mains, tout excitée.

— Ce soir, il y a le grand concert devant la fresque de Dos Alas. Il y aura tous les chanteurs latinos connus. Nous allons chanter, danser, prier jusqu'au bout de la nuit. Tout East Harlem sera là. Paolo nous accompagnera. Il n'est pas de service, cette nuit.

Je levai mon verre en l'air.

— À nos ancêtres, aux êtres aimés, aux enfants partis trop tôt.

Le restaurant ne désemplissait pas, bien au contraire. La musique redoublait de volume faisant danser les clients. Shelby eut du mal à quitter la table pour se rendre aux toilettes, pendant le repas, tellement que nous étions les uns sur les autres. Quand elle s'éloigna, June me sauta dessus comme si elle attendait depuis une éternité de se retrouver seule avec moi :

— Des nouvelles ?

Les yeux baissés, je secouai lentement la tête en donnant un coup de fourchette dans ma salade. Ma réponse la mit en colère.

— Quel enfoiré ! Il joue avec toi, Blue.

Je relevai mon visage sur ma cousine et lâchai prise, incapable de garder pour moi ce que je ressentais :

— Son absence aurait dû me soulager, pas me... Seigneur, je déteste cette femme qu'il m'a fait devenir. C'est-à-dire : une personne complètement dépendante affectivement de lui.

June redressa ses épaules, fronça les sourcils et pointa sa fourchette dans ma direction.

— Concentre-toi sur tes missions. Desya Olsen ne doit pas avoir un si grand pouvoir sur toi. Ne le laisse pas te démolir, ne le laisse pas gagner.

— Peut-être qu'il a déjà gagné, répliquai-je d'une voix morne en baissant la tête.

J'aurais sûrement continué à la regarder si je n'avais pas redouté sa réaction. Elle émit un claquement de langue désapprobateur.

— Que te faut-il, Blue, pour ouvrir les yeux ? Ce type ne va pas quitter sa banlieue blanche et chic pour venir te rejoindre ici. Sa permission doit durer encore deux jours et crois-moi, il doit être tellement occupé à retrouver son ancienne vie qu'il n'a même pas une seconde pour penser à toi.

Je la fusillai du regard :

— Merci ! Tes paroles ont vraiment le don de me remonter le moral.

— C'est un con !

— June, arrête et...

— Un vrai con !

— Bon sang, que dois-je faire ? Dis-moi ce que tu ferais à ma place au lieu de m'enfoncer la tête sous l'eau.

Ma cousine rejeta ses cheveux en arrière en prenant son air de femme importante. Je levai les yeux au ciel intérieurement. Elle se racla la gorge avant de prendre une gorgée de son cocktail.

— June ! grognai-je.

— Ça va, ça va. Deux minutes. Je ne peux pas prodiguer de bons conseils si je ne suis pas dans de bonnes conditions.

Je tapotai mes ongles sur la table. Quand elle eut terminé sa mise en scène, elle se pencha vers moi, toute colère oubliée.

— Réfléchis, Blue. Tu ne peux pas le joindre directement par téléphone alors, passes par son oncle.

Je méditai un court instant en la fixant, la mine dépitée.

— Son oncle est un hypocrite, je ne le supporte pas. Il ne me laissera jamais lui parler.

— Essaye, trouve un bon prétexte. Après tout, c'est toi...

Ma cousine s'arrêta brusquement avant de déclarer :

— Shelby arrive.

Je redressai mes épaules et m'efforçai de retrouver ma bonne humeur.

— Quand vas-tu enfin lui dire la vérité ? C'est ton amie depuis l'enfance.

Je me dépêchai de lui répondre avec de gros yeux :

— Je sais, mais c'est compliqué. J'ai trop attendu et maintenant, je ne sais pas comment...

Shelby arriva avant que je n'aie eu le temps de finir ma phrase.

— Surtout, attendez d'être ailleurs pour aller aux toilettes ! Il y a un monde pas possible.

Pendant que je l'écoutai se plaindre, je sentais le regard lourd de June sur moi. Elle avait raison. Je trahissais tout mon entourage en leur cachant ma relation avec Desya. Paolo, Shelby, Manuela... Tous ces gens qui comptaient pour moi, ignoraient la vérité. Et dans un sens, c'était mieux ainsi.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant