Chapitre 25-2

567 66 1
                                    

Dehors, la pluie avait redoublé d'intensité et s'abattait maintenant avec violence contre les fenêtres, rendant cette journée plus triste qu'elle ne l'était déjà. Encore bouleversée par la visite de Paolo, une heure auparavant, et par l'annonce de son départ, j'avais du mal à me remettre dans mon travail.

Après un long entretien téléphonique professionnel où j'avais dû lutter pour rester concentrée, je raccrochai avec un mal de crâne et fermai les paupières. Les coudes posés sur le bureau, je me massai les tempes. C'est alors qu'on frappa à la porte. Une jeune femme blonde entra. Elle était vêtue d'un blazer et d'un pantalon sombre assortis à sa veste d'une grande marque. Sa queue de cheval dégageait son visage et révélait des yeux d'un bleu rare. La femme referma la porte derrière elle, posa son parapluie à l'entrée et se mit à marcher lentement dans ma direction, avec élégance. Son regard se promena partout dans la pièce, coula vers les fauteuils puis sur les murs.

— Bonjour, vous devez être Bluebell, la tutrice de Desya ?

Ex-tutrice. Je me levai pour venir à sa rencontre, en la scrutant avec méfiance.

— Je suis Charlotte Kelly.

Je levai les sourcils et formai un "O" avec ma bouche. C'était la première fois que je la rencontrais.

— Bonjour, balbutiai-je. J'ai vu votre nom inscrit à plusieurs reprises pour les demandes de visite. Je suis heureuse de pouvoir mettre un visage dessus.

— De même. Vous avez supporté Desya durant plusieurs mois, vous avez tout mon respect.

Son ton détaché démentait totalement ses paroles. Rapidement, elle ajouta :

— Je suis heureuse qu'il rentre demain. Il m'a beaucoup manqué depuis notre dernière soirée tous les deux, chez son oncle, la semaine dernière.

Il y avait, dans cette phrase, un sous-entendu que je perçus confusément. Brusquement, j'avais du mal à respirer, comme si une chape de plomb m'était tombée dessus. Je pris une profonde inspiration pour me donner le temps de me ressaisir.

— Nous n'avons pas vraiment parlé de son séjour chez son oncle, indiquai-je. Je ne doute pas que tout se soit bien passé.

Charlotte glissa avec lenteur son regard sur moi. Le visage fermé, elle souleva ses épaules.

— Je vais quitter mon mari ! J'ai réalisé que Desya était l'homme de ma vie et encore plus depuis l'autre soir.

Elle esquissa un imperceptible signe de tête pour appuyer ses mots. La bile me monta à la gorge et mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine. La jeune femme parut satisfaite de la soudaine expression que j'affichai sur mon visage. Sous le choc, je puisai au fond de moi-même pour ne pas hurler. Charlotte relâcha ses épaules et se mit à regarder de nouveau autour d'elle avant de me lancer froidement :

— Qu'avez-vous cru ? Qu'il resterait pour vous ? Qu'il vous aimait ?

À ces mots, un frisson descendit le long de ma nuque, ma respiration se fit plus courte. À quoi jouait-elle ? Bien que je fusse prise d'une folle envie de l'étrangler, je me retins et demandai d'une voix égale :

— Charlotte, pourquoi êtes-vous venue à East Harlem ? Visiblement, vous avez l'air d'avoir un profond ressentiment envers moi.

La jeune femme tourna son visage de marbre vers moi en me scrutant d'un regard froid et hautain.

— Oui, j'en ai eu. Je vous ai enviée, à de nombreuses reprises, de pouvoir passer du temps avec lui. Ce temps où je l'aurais voulu rien que pour moi. J'ai même eu peur qu'il m'échappe, mais son oncle m'a rassurée et aujourd'hui, je sais.

Je fronçai les sourcils.

— Vous savez ?

Je la regardai sans comprendre. Charlotte agita sa main dans le vide comme pour dédramatiser la situation.

— Maintenant que Desya est libre, je peux vous répéter ce que Frederick m'a confié.

Elle accrocha mon regard pour être sûre d'avoir toute mon intention.

— Desya vous a séduite pour être sûr que vous plaideriez pour lui devant le juge, le moment voulu. Visiblement, cela à marcher. Vous avez signé ce formulaire et vous avez même réussi à lui rendre sa liberté plus tôt que prévu. Bravo, Bluebell, vous êtes formidable !

Charlotte ne prit pas la peine de cacher tout son mépris à mon égard. Elle se recula d'un pas et m'asséna le coup final :

— Tout était faux. Il n'a jamais rien ressenti pour vous. Comment le pouvait-il ? Avez-vous oublié ce qu'il est ? Il ne m'aurait jamais touchée, l'autre soir, s'il avait été sincère dans ses sentiments.

La jeune femme continuait de cracher son amertume, mais je ne l'entendais plus. Assaillie par un silence assourdissant, j'étais incapable de réagir, d'écouter une parole de plus. Je me mis à chercher dans mes souvenirs, à refaire le film avec un regard extérieur. Tout devenait de plus en plus clair. Charlotte ne mentait pas. Desya avait tissé sa toile au fil des jours, des semaines, des mois. Tous nos rires, nos mots, nos étreintes... Tout cela n'avait jamais existé pour lui. J'avais voulu voir uniquement ce que je voulais voir. Rien d'autre.

Avec un faux sourire d'excuse, la jeune femme tourna les talons et repartit avec indifférence.

Choquée, désorientée, je me plaquai machinalement contre le mur puis y restai de longues minutes. Lorsque mon cerveau se remit en route, je pris une grande inspiration et hurlai de toute mes forces. Après avoir vidé tout l'air de mes poumons, je m'empressai de prendre mon sac et me précipitai dehors pour respirer.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant