Chapitre 9-3

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Je ravalai un sourire en voyant Olsen si maladroit derrière le buffet. À côté de moi, Shelby et June servaient les boissons à une vitesse folle. Nous connaissions les habitudes de tout ce monde depuis le temps.

Alors que je m'occupais d'Olga, Desya s'éclaboussa avec la sauce du poulet grillé qu'il était en train de découper, sur son polo blanc. Il jura rageusement prêt à balancer son couteau dans les airs. Olga se tourna vers lui, l'air choqué, avant de revenir sur moi.

— Blue, tu devrais reprendre ce jeune homme, chuchota-t-elle en espagnol, le buste penché vers moi.

Je soulevai mes épaules et continuai de lui sourire comme si de rien n'était. Les cheveux tirés en arrière avec un chignon impeccable, cette femme d'une soixante d'année paraissait beaucoup plus jeune. Comme nous tous ce dimanche, elle avait sorti sa plus belle tenue et faisait attention de ne pas salir son tailleur bleu clair. Je lui tendis son assiette et pris la défense de Desya :

— Il est tout nouveau à East Harlem et un peu à cran depuis son arrivée.

Le visage d'Olga se radoucit. Mes petits protégés avaient le soutien des habitants qui étaient conscients du parcours difficile de ces personnes. Quand elle s'éloigna de nous, je m'approchai de Desya en prenant soin de ne pas parler trop fort :

— Faites attention à votre langage ! Nous sommes dans une église.

— Je m'en fou de savoir où je suis. Je ne me suis pas levé ce matin pour ça.

Je serrai les lèvres pour ne pas dire des choses que je pourrai regretter dans l'instant puis posai une main sur la table et l'autre sur ma hanche.

— Il y a des sujets où je suis moins patiente, Desya, surtout quand il s'agit de ne pas respecter un lieu de culte.

Je fis pivoter ma tête sur la droite, June me jeta un regard sévère. L'attitude d'Olsen commençait à l'irriter, elle aussi. Je revins sur Desya qui me considérait gravement. Au moment où j'allais dire autre chose, la voix d'Ethan nous parvint de derrière :

— Attention, le plat est brûlant, cria-t-il pour nous demander de nous pousser.

Instinctivement, je me retournai brusquement vers le petit ami de ma sœur qui fonçait dangereusement sur moi avec le plat. Olsen m'attrapa par la taille pour me coller contre lui afin de laisser passer Ethan et éviter un accident malheureux. Chaque parcelle des muscles de son torse se plaqua dans mon dos. Son bras autour de mon ventre me serrait puissamment de façon à ce que mes fesses restent appuyées contre son entrejambe. À son contact, je sentis quelque chose de bizarre se propager en moi. Jamais, je ne m'étais retrouvée aussi proche de quelqu'un. Avant que je n'aie eu le temps de me dégager, j'entendis la voix de Paolo hurler :

— Lâche là !

Mon ami avait débarqué au buffet juste à ce moment-là. La scène n'avait duré qu'une fraction de seconde, mais avait suffi à le mettre dans un état de démence le plus total. Les personnes proches de nous nous regardaient en se demandant ce qui avait bien pu se passer.

Shelby se dépêcha de faire le tour de la table pour rejoindre son frère et tentait de le calmer. De mon côté, je m'écartai de Desya pour lui faire face. Il paraissait tirer une satisfaction profonde de tout ça. Je frottai discrètement mes pouces contre mes doigts pour dissiper les fourmillements. Olsen attendait que je lui dise quelque chose, mais rien ne vint. Je continuai de le regarder, perdue. Son expression sur le visage changea. Il riva sur moi un regard différent des autres fois, un regard plus profond comme si le doute s'insinuait dans son esprit.

— Blue !

La voix de June me provenait de très loin jusqu'à ce qu'elle prononce une seconde fois mon prénom en entier. Je me retournai vers elle, absente. D'un signe de tête, elle me demandait d'aller rejoindre Paolo pour aider Shelby à le calmer. Mon ami, les yeux hors de leurs orbites, s'apprêtait à bondir sur Desya.

À mon tour, je fis le tour de la table d'un pas pressé. Arrivée à la hauteur de Paolo, je lui attrapai le visage entre mes mains pour l'obliger à me regarder.

— Arrête, le suppliai-je. Il n'a rien fait de mal. Paolo, reprends-toi.

Il me lança un regard glacial à travers ses yeux d'un vert limpide. Pour la première fois, j'avais peur de lui, de ce qu'il pourrait faire s'il perdait le contrôle. Je baissai mes bras et décidai de passer à un autre sujet histoire de désamorcer cette situation. Avec ma voix la plus douce, je lui demandai :

— Que fais-tu à l'église ? Je pensai que tu travaillais.

— Je travaille, répondit Paolo, la mâchoire serrée. Le juge Gibson m'a demandé d'escorter Charlotte Baker jusqu'ici.

Je réussis à articuler un simple "oh" avant de me tourner vers Desya qui me scrutait avec son regard sévère et intense. Je fuis immédiatement son regard pour revenir sur Paolo.

— Où est Charlotte ? Je vais le conduire jusqu'à elle.

— Je vais m'en charger. Reste là !

Paolo demanda à Desya de le suivre. J'allais ouvrir ma bouche, mais Shelby intervint :

— Blue, laisse-le faire. Tout va bien se passer. OK ?

Sa voix se voulaitrassurante. Je hochai la tête avec un regard reconnaissant puis partisrejoindre ma place, derrière le buffet. Au moment de croiser Olsen qui s'enallait, je sentis ses doigts frôler les miens avec une infinie douceur. Une électricitéintense et douloureuse traversa tout mon corps, j'arrêtai une seconde derespirer. À quoi jouait-il ? Je voulais lui laisser une chance des'expliquer. J'avais dit à Paolo que ce n'était rien. J'avais menti. Moi, Bluebell,j'avais menti à mon ami pour couvrir Desya. Collée contre lui, j'avais sentison corps se mouler au mien. J'étais peut-être naïve sur beaucoup de points,mais j'étais sûre d'une chose : son étreinte avait été volontaire.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant