Exorcise V

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Cinq lettres, cinq textes, cinq mois.
J'en ai encore plein le bureau,
De ces lettres sans destinataire,
Qui portent toutes le même nom.
Bon.
On poste après des mois,
Et on brûle, ensuite,
Autodafé en quelque sorte.

___

Du bout des doigts,
       Je mange sans fin
                Une poignée de myrtilles

Il a plu vingt quatre minutes alors que je dormais.
J'ai rêvé de brochettes de citron,
De silhouettes en équilibre comme oscillant au bord d'un verre,
de cocktail,
Dans une conversation mondaine
Et de sourires plein de gencives.

Quand je suis sortie, il s'est miraculeusement arrêté de pleuvoir,
Mais je ne sais plus si je dormais encore alors.
Tout compte fait, je rêvais encore,
Mais je pensais à elle
Et à un rêve que j'avais fait d'elle
Le ruisseau vomissait des cascades de mousse épileptique,
Et l'odeur nauséabonde des vieux tuyaux qui l'alimentent,
Me faisait penser à ce qu'il adviendrait de moi,
Et de ces délicieuses myrtilles
Qui viendront sans culpabilité,
Atterrir aux pieds des géants d'émail.

Ensuite, il a re-plu,
Mais j'étais trop bien pour le compter,
Et la sueur qui coulait le long de mes omoplates,
Me laissait voir un bel avenir de bouffe gratuite et savourée sans réserves,
De céréales rassies disposées sans hâte
Qui forment cinq lettres

( Quelque part en février )

_

" - Des myrtilles. Juste des myrtilles, un été avec toi. Qu'est-ce que c'était bien de détester les autres, de prendre des goûters et des petits déjeuners, de discuter juste simplement. L'automne, et puis l'hiver, tout ça nous a gâché, on est complètement gâchées on a tout pourri et je saurais pas te dire à partir de quand ça a dérapé. À partir de quand tout est parti en vrille ? Comment c'était avant, de se voir au mieux un jour par semaine, de se parler de temps à autre et de s'apprécier simplement ? Il y a trop d'émotions, je ne parle plus de toi à personne, alors qu'avant je n'avais que ton nom à la bouche 

- wow... Tu avais raison, c'est horrible "

( Avant le soir )

_

Même routine : lever brutal, café brûlant avalé debout en quelques secondes, marche vers l'arrêt de bus. Rien de spécial, je pensais à ces lettres en avançant, en me demandant jusqu'où je peux te raconter ma vie.

Je vais peut-être pas tout décrire : le ciel bleu foncé, le lampadaire jaune, l'herbe verte. Ça n'a pas vraiment d'intérêt, mais ça compte pour le moment, alors que je suis à moitié endormie, et que j'attends sous une pluie maussade

( Extrait de la première lettre, 21 septembre 2021 )

_

Parfois je me demande comment tu vas,
Si l'école se passe bien,
Si tu décroches tes rêves sur la pointe des pieds.
Si tu as oublié de penser à moi, hier,
Après toutes ces heures à m'appeler,
Avant, avant.
Parfois je me demande comment tu vas
Et je pense
Que si j'avais eu un sou brillant à chaque fois,
Que tu m'avais dit que tu allais finir par mourir
D'amour ou d'autre chose,
On aurait eu de quoi s'acheter
          Des myrtilles
          De la citronnade
          Des biscuits au chocolat
          Deux rayons d'insolence
          Et des centaines
                des centaines
                  des centaines
                    des centaines
                      des centaines
                        des centaines
De conversation provocant
Les adultes et nos douleurs,
Pour se réanimer en l'autre.

Parfois je me demande si tu vas mieux

( 20 mai 2022 )

_

" je ne sais pas comment finir,
si tu es arrivée jusque là,
merci de m'avoir lue,
merci.

                                                     Enora "

( Derniers mots de la dernière lettre, 25 septembre 2021 )

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