Chapitre 39 : Le Labyrinthe (époque : 2022) (2/2)

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- Je vous l'assure, comme je vous garantis que ce criminologue avait la charge psychothérapeutique d'un jeune garçon nommé Jack Sallow, alias le couturier.

- Comment cela, il était son psy ?

- Oui.

- Quand cela ?

- Très jeune, à l'école primaire.

- Attendez Docteur, pourquoi une école élémentaire aurait-elle recours à un psycho-criminologue ?

- C'est une excellente question. D'ailleurs, la question reste tout aussi pertinente en lecture inversée : pourquoi un criminologue tel que lui tiendrait tant à s'occuper du couturier dès l'enfance ?

- Je ne comprends pas le sens de votre question... Ce n'était pas un tueur en série à cette époque, mais simplement Jack Sallow.

- Sans doute auriez-vous raison en de nombreuses circonstances et pour les affaires habituelles du crime...

- Mais ?

- Mais peut-être, au contraire, que c'est justement important.

- Pourquoi ? Comment aurait-il pu savoir ?

Face au visage déterminé du clinicien, l'officier de la CIA comprend qu'il ne s'interroge pas de la manière attendue.

- Docteur, savez-vous ce qu'ils ont fait ensemble ? Combien de temps, à quel âge précisément, à la suite de quel événement, orienté par qui, vous voyez ? J'aurais besoin d'éléments factuels.

- Le Professeur l'aida à séparer ses parties psychologiques afin de lui offrir un certain équilibre.

- Séparer les parties psychologiques ? Il est possible de faire ça ?

- A cet âge, l'identité est en construction, des parties identitaires non reliées se forment et peuvent ne pas se conjuguer en un tout unifié.

- De quelles parties psychologiques parlons-nous ?

- Celles du couturier et du Lady Killer, plus précisément Jack Sallow et Jim Sullivan.

- Vous êtes tranquillement en train de me dire que deux des plus grands tueurs en série de notre décennie sont en réalité la même personne ?

- Oui, cela a quelque chose de rassurant n'est-ce pas ? souffle-t-il avec le tabac de sa cigarette.

- Rassurant ? Docteur, quand nous aurons terminé tout ceci, je vous recommande de reconsidérer les éléments que vous jugez ironiques ou apaisants.

- Me recommandez-vous d'investir dans un peigne ?

Les deux hommes apprécient ces moments de travail et de réflexion piquante. Peu d'hommes parviennent à intéresser J. Stevens comme T. Lewis le fait.

- Et lui, le suspect, quel est le rapport avec tout ça ?

- Voici ma conclusion... Il ne vient pas de notre époque, il est enregistré ailleurs non pas en territoire mais en période.

- Etes-vous sérieux, Docteur ? s'étouffe-t-il dans son café.

- Absolument, je l'ai vu dans le néant, mais aussi les éléments ne font qu'aller en ce sens. A défaut de conclusions rationnelles, même les plus irrationnelles doivent être vérifiées.

- Je ne vous suis pas, et la CIA ne vous suivra pas. Je n'arriverai jamais à faire avaler un truc pareil...

- Je suis prêt à avancer des éléments, et je l'ai en partie fait. Contredisez-moi Lewis, allez-y, je ne cherche pas à avoir raison, je cherche à comprendre.

- C'est complétement dingue.

- J'attends vos arguments Lewis, réplique-t-il sérieusement face à l'étourdissement de l'agent.

- Très bien, Docteur. Voyons, dans l'hypothèse qu'il s'agisse d'un voyage dans le temps pour mettre fin aux jours du Vice-Président, j'y vois un paradoxe dans l'argument. Ayant raté sa tentative, celles ou ceux qui l'ont envoyé devraient le savoir et de fait ne l'enverront pas, donc il ne pourrait tenter son homicide.

- Bon argument, j'y ai déjà en partie réfléchi mais voyons comment nous en sortir. Si la personne est envoyée depuis le passé, elle ne connaît pas l'issue.

- Mais dans ce cas, comment aurait-elle une quelconque information sur ce qui se passera ?

- C'est aussi ma conclusion. Donc, voilà mon raisonnement. Votre analyse, à l'instar de la mienne au départ, part de l'hypothèse que le but était de tuer le Vice-Président. Et si nous faisions fausse route depuis le départ en pensant cela ? Il est possible en connaissance des éléments que la personne fut envoyée sans espoir du meurtre.

T. Lewis est perturbé par la sagacité de J. Stevens. Au regard des conversations d'hier en famille et de ce qu'il constate, il est évident qu'il n'a rien d'ordinaire, aussi farfelues ses hypothèses soient-elles.

- Je reconnais que votre propos est intéressant et pique ma curiosité. Nous n'avons jamais travaillé sur la possibilité que le but n'était pas d'assassiner A. Buore.

- Je me doute, moi non plus.

- Mais, admettons, pourquoi dans ce cas l'homme en question hurlait des propos pour le crime et aurait pris le couteau et vraiment tenté cela ?

- Je ne peux vous répondre, c'est ma limite Lewis, comme celle de Whedon qui est de toutes les affaires, depuis la prise d'otages du couturier jusqu'à Whitechapel, notre enquête ici comme les péripéties politiques là.

- Peut-être, propose T. Lewis, que notre homme n'est simplement pas au courant de son échec programmé.

- Comment cela ? Un homme de son intelligence, qui voyagerait dans le temps, n'aurait...

- Réfléchissons Docteur. D'une part, notre homme n'est pas un radical, nous l'avons constaté dès son premier jour. Il est calme, réfléchi, pondéré dans ses émotions, et a regretté son geste rapidement. Il serait possible que sa motivation ait été autre que le politicien ?

- La seule chose qui motive réellement un être humain par-delà sa propre vie...

- Qu'entendez-vous par là ?

- Lilas Mills...

- Lilas Mills ? visiblement inconnue de l'agent de la CIA. De qui s'agit-il ?

- Vous devriez écouter et relire plus souvent les documents dont notre conseiller Whedon nous prive, taquine avec sa cigarette J. Stevens, ce qui provoque un amusement certain chez T. Lewis. Lilas Mills, sa famille, sa femme notamment, son père ensuite.

- D'où tenez-vous cela ?

- Du néant. Sa femme est morte d'une maladie incurable, au cerveau.

- Intéressant...

- Je trouve aussi, mais poursuivez, vous me plaisez Théodore de la CIA.

- Oui, deuxième point. Si nous étions vous et moi dans la gestion d'un programme visant à envoyer des personnes dans le temps, en connaissance de l'échec des événements, partagerions-nous l'information à nos kamikazes ?

- Nous leur donnerions des missions personnelles, tout du moins.

- Qu'ils pourraient donc... réussir, sourit l'agent, même dans l'échec factuel.

L'Histoire du Dr J. Stevens (Partie 2) [ShortList Watty22... -Edité-]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant