Chap. 32 : papa

68 4 3
                                    

Shinso se demandait si c'était ça ; la mort.

Ce n'était pas un long tunnel qui l'amenait vers une lumière, comme certaines personnes ayant fait une expérience de mort imminente le racontait. Ce n'étaient également pas ses souvenirs qui se mélangeaient pour former un étrange monde où, continuer d'y vivre, signifierait mourir. Non, mais il voyait bien sa vie défiler devant ses yeux.

En tout cas, différent souvenir, pour certains qu'il avait oublié, d'autre qui était gravé dans sa mémoire. Tous étaient de sa mère. Il se voyait grandir avec elle, une partie de son enfance joyeuse se dessiner devant ses yeux. Puis une peinture précise se forma devant lui ; leur maison, encombrée, sa mère, toujours avec son éternelle tasse de café en main, et lui, assis sur une chaise, faisant face à sa mère, sérieux.

Ses anciennes pensées, douleurs et émotions lui revirent en tête pour devenir celle du narrateur.

« Je me rappelle que, enfant, je lui posais plein de questions sur mon père. Elle me répondait toujours qu'elle m'en parlerait plus en détail quand je serais plus grand. Et, lorsque que j'ai eu l'âge, je ne lui demandai rien. Elle me disait qu'elle pouvait comprendre mais que, si je souhaitais en savoir plus, elle ne cacherait rien. Il me suffisait de plus poser la question. Sans que je ne m'en rende compte, une sorte de rancœur c'était installé en moi envers mon père. Je lui en voulais de m'avoir abandonné et surtout d'avoir abandonné ma mère. Où était-il lorsque je me faisais brimer à l'école à cause de son absence ? Lorsque ma mère devait encaisser toutes les remarques et refus ? Lorsque la rumeur prenait de plus en plus de place ? Lorsque ma mère était surchargée et proche du burn-out ? Où était-il lorsque nous avions besoin de lui ? Nulle part. En tout cas, loin de ma mère et moi.

Ce fut d'ailleurs la seule question que je posai à ma mère sur le sujet.

- Pourquoi nous avons fini comme ça ? Je veux dire, on est vraiment isolée de toute famille. Et répond moi comme tu me l'as promis, sans mensonge, sans filtre et sans oublier des détails importants. Même si ça fait mal.

Étrangement elle hocha la tête puis me répondit avec un air nostalgique et doux. Aucune trace de rancœur ou de douleur ; juste de la nostalgie.

- Avant, j'avais une vraie vie de princesse... J'étais heureuse et épanouie avec mon copain, je m'étais faite plein de chouette ami à Yuei, je venais de rentrer dans l'école de mes rêves et ma famille me soutenait. Tout se passait bien dans mon couple. Et nous avions envie de plus, de passer le cap... Bref de faire notre première fois. Alors, après plus d'un an de relation, nous avons fini par le faire... Sauf que ça ne s'est clairement pas passé comme prévu. La capote avait craqué au mauvais moment et ton père a fini par vomir tout son dîner après notre partie de jambes en l'air. Clairement, c'était loin d'être magique... En plus c'était loin d'être un bon coup !
- Tu peux éviter ce genre de détails...
- Bah écoute il y aura bien un jour où tu le feras et ce n'est pas avec les documentaires sur la reproduction des abeilles que tu vois à l'unique cours d'éducation sexuelle de toute ta scolarité que tu apprendras quelque chose !
- Maman !
- Ok c'est bon, on en reparlera une autre fois. Je ne comprends pas pourquoi ce sujet est si tabou... Bref ton père avait rapidement stressé sur le fait que la capote ait craqué, surtout que c'était durant ma période d'ovulation. Mais je l'avais vite rassuré. Après tout, il y avait combien de pourcentage de chance que, pour ma première fois, le peu de spermatozoïdes qui était rentré dedans me féconde ? Il y avait beaucoup de couples qui avaient du mal à avoir un enfant en le faisant tout le temps alors je risquais quoi ? Rien ! Mais au bout de seulement 5 semaines je ressentais déjà tout le cliché de la femme enceinte. Que ce soit les vomissements répétitifs, les humeurs changeantes ou les envies soudaines, il ne fallut pas plus pour que ton père comprenne la situation. Il m'obligea à faire un test de grossesse et le résultat fut sans appel, j'étais enceinte. À 17 ans, enfin presque 18. Après tout s'enchaînant assez rapidement, la lettre de menace de mon école disant que si je n'avortais pas j'étais expulsé, mes amis me tournant le dos les uns après les autres et mes parents refusant l'enfant. J'avais deux options, soit j'avortais et je pouvais continuer ma vie de princesse, rester dans son école de rêve et sûrement retrouver mes amis. Soit, je gardais l'enfant, perdait définitivement toute chance de rester dans l'école de ses rêves, et me faisais rejeter par mes amis et ma famille également... J'ai évidemment choisi la deuxième option !
- Quoi ? ... Mais pourquoi ? C'était plutôt la première option que me semble évidente...
- Je ressentais quelque chose que personne d'autre ne pouvait comprendre. Ni mon copain, ni mes amis ni même mon père. Une sensation magique, extraordinaire, de plénitude bien que souvent douloureuse.
- Quoi ?
- Toi. Je sentais ta magnifique petite vie en moi... Tu étais un minuscule petit être, tu ne faisais même pas mon pouce. Mais je te sentais. Tu vivais en moi. Et que je le veuille ou non j'étais déjà complètement devenu gaga de toi. Devoir avorter revenait à tuer cette sensation de bonheur que tu m'apportais et je pense également que ça aurait également tuer une part de moi... Non, ça m'était inconcevable, impossible. Alors, j'en étais sûr, peu importe les conséquences je te garderais. Je me sentais capable de t'avoir et je ne pouvais déjà plus me séparer de toi... Enfin je veux dire aussi bien mentalement que physiquement. Je me suis juré de tout faire pour que je puisse t'offrir une belle vie et que je devienne la meilleure des mamans.
- ... Donc c'est moi qui aie pourris ta vie ? C'est moi qui suis responsable de tout ça ?
- NON ! Non, bien sûr que non... Mon chaton ne pense plus jamais ça. Jamais. Je pense que je me suis mal exprimée. Je voulais dire que peu importe les représailles, j'étais prêt à tout pour toi... Ta naissance a été la meilleure chose dans ma vie et jamais je ne regretterais tout ça. Toutes ses années avec toi ont été les meilleurs, jamais je n'aurais pensé qu'être mère puisse être si fantastique. Tu es un véritable rayon de soleil et chaque jour passé avec toi est un pur plaisir. Shinso, sache que tu es exactement le contraire de ce que tu viens de me dire, tu es la personne qui m'a embelli la vie et qui est responsable de tout ce bonheur qui m'entoure. Si je suis trop heureuse, c'est de ta faute ! Et puis, c'est vrai que j'ai dit qu'avant j'avais une vie de princesse, mais, si tu me laissais finir, je te dirais que maintenant que dire que j'ai une vie de déesse serait un euphémisme tellement je suis heureuse. Si tu veux te blâmer d'une chose blâme toi de me donner autant de bonheur.
- Mais tu aurais pu rester dans ton école de rêve et tu aurais toujours le lien avec ta famille et tes amis...
- Tu parles de cette école complètement intolérante au changement et ramassant les scandales de harcèlements et d'abus de pouvoir avec les années ? Plutôt heureusement qu'ils m'aient viré ! Et tu parles de ses amis qui m'ont tourné le dos à la moindre difficulté ? Heureusement que je m'en suis rendu compte à ce moment-là et non lorsque je serais réellement dans une très mauvaise situation. Et puis je n'ai pas perdu le contact avec tout le monde ! Daichi m'a énormément aidé pendant ma grossesse et encore maintenant ! Si tu savais le nombre de chatons que tu lui refilais, enfin il ne s'en plein pas il est aussi gaga de chat que toi... D'ailleurs je devrais l'inviter à la maison pour le remercier dès qu'on aura le temps. Et puis il y a aussi Uwabani. On se voit moins souvent vu qu'elle est prise à plein temps par son métier de héros mais on se parle encore parfois par message. Et c'est loin d'être les seuls ! Et ça m'a permis de faire de chouettes rencontres ! Et pour ma famille... Ils étaient encore dans l'esprit vieux Japon et attendait de moi d'être une fille faible et modèle alors que j'étais le total opposé. C'est triste à dire mais je pense que ça aurait forcément fini comme ça... Finalement il semblerait que j'avais plus à perdre avec eux !
- Mais... Et lui ?
- Oh tu parles de ton père ? Lui il était clairement à totalement l'opposé de ce que je pensais. Il n'était pas prêt à tout lâcher pour partir à l'aventure et je ne pouvais pas le blâmer pour ça. Tu sais, il voulait se donner un air fort gardant toujours avec un air fatigué et blasé au visage, en étant peu soigné, prenant une attitude froide, sévère, réservée, pessimiste et antipathique par moments sans oublier qu'il ne laissait rien paraître si ce n'est que son exaspération et qu'il gardait tout pour lui. Pourtant dès qu'on apprenait à le connaître plus en profondeur, on se rendait vite compte que ce n'était qu'une façade. À la tendance à se dévaloriser et à voir les choses de manière pragmatique et pessimiste, blessé par la mort d'un ami, et qui, malgré son air détaché, donnait beaucoup d'importance à ses proches et était prêt à tout pour les défendre et se montrait même assez doux par moments. Il s'éloignait grandement du style qui se donnait. Alors, même si ce n'est qu'une interprétation, je pense surtout qu'il avait peur de ne pas être à la hauteur. Si moi je ne voyais presque que le côté positif d'être enceinte, lui ne voyait que le négatif. Il ne se voyait pas en père. Il ne se sentait pas prêt pour toutes les responsabilités que ça allait engendrer. Nous n'avions que 17 ans, enfin presque 18 après tout. Il pensait uniquement de manière pragmatique. Comment est-ce qu'il ferait alors qu'il n'a pas fini ses études, qu'il n'a pas l'argent et donc qu'il n'a peut pas acheter un logement propice à l'enfant et tout ce qui fallait pour acheter l'élever, qu'il ne savait pas s'occuper d'un enfant et qu'il n'avait pas le temps de s'en occuper, ... Non, avoir un enfant était tout simplement impossible pour lui. Il fallait avorter. C'est ce qui a été une des raisons de notre rupture. Nous nous étions disputés longuement sur le sujet, lui terre-à-terre et moi dans les nuages. Enfin, dans tous les cas, ce fut quelque chose d'autre qui détruit notre couple. Nous avions fini par se quitter en bon terme. Après avoir affirmé mon choix auprès de tout le monde les conséquences sont tombées. J'ai été chassée de chez moi, cette bêtise étant celle de trop, la plupart de mes amis me tournèrent le dos et je perdis ma place dans l'école de mes rêves. J'ai eu l'impression d'être incroyablement seule. Mais, comme je te l'ai dit, ton père est vraiment quelqu'un de géniale malgré son apparence. Même s'il était complètement contre mon choix il m'a tendu la main. Comme il le disait, qu'il le veuille ou non cet enfant était de lui et même s'il était contre mon choix, il allait en assumer les conséquences. Alors il m'a recueilli dans sa colocation avec Present Mic. À partir ce moment-là, j'ai travaillé d'arrache-pied pour t'accueillir dans les meilleures conditions possibles. Je faisais attention à tout ce que je mangeais, mes activités et prenais soin de moi. Je me suis renseigné sur tout concernant comment bien éduquer un enfant et je suis inscrite dans une autre école pour l'année d'après, certes moins prestigieuse mais qui acceptait ma situation. J'avais également commencé à faire de petits boulots afin de récolter de l'argent pour notre future maison et souhaitant aider un minimum financièrement mes colocataires. Ma relation avec ton père était assez étrange au début mais on avait assez rapidement retrouvé notre complicité. On s'était vraiment quitté en bon terme et j'ai fini par accepter de le voir uniquement en tant qu'ami. Au bout de sept longs mois d'efforts, j'ai pu acheter notre propre maison. Lorsque j'avais vu l'annonce j'étais directement tombée amoureuse de notre maison. Que ce soit son style atypique, son emplacement ou son bas prix, je ne voulais plus la lâcher. Bon, par contre, je ne te raconte pas la galère pour l'acheter. Heureusement que l'agent immobilier était désespéré sinon je pense que je ne l'aurais jamais eu... Bref avec l'aide de Present Mic, Daichi et ton père, j'ai pu négocier un prêt pour acheter la maison. Et après plusieurs mois à batailler je l'ai eu notre maison. Et encore avec leurs aides, j'avais rénové toute la maison à mon goût. Mon plus grand plaisir fut quand je rénovai ta chambre. J'avais vraiment pu se projeter dans notre avenir. Tu aurais dû me voir au magasin de bébé. Selon Present Mic j'étais « ON FIRE» ! Puis tu es arrivé, le meilleur jour de ma vie. Et ton père partit. Il n'a même pas voulu te voir. Je pense que s'il a fait ça c'est parce que dès qu'il t'aurait vu, toi et ta bouille adorable, il n'aurait pas pu se détacher de toi... J'en suis même sûr ! Mais c'était comme ça que ça avait été convenu. Il m'aidait jusqu'à que j'ai une situation correcte puis disparaissait de notre vie. Il n'avait plus rien à faire là, selon lui. Mais il garde sa part de responsabilité et continue toujours de donner de l'argent tous les mois pour être sûr qu'on puisse vivre correctement et pour payer " sa part ". Et la suite, tu la connais...

Oui, je la connaissais la suite et j'en étais fier. Elle est devenue une femme forte et indépendante avec un fort état d'esprit. Une battante qui, malgré toutes les difficultés à devoir gérer un enfant et sa vie active, sorti victorieuses. Qui, malgré qu'elle soit seule, apprit par elle-même et devint autonome, malgré tous les préjugés des entreprises à son égard, réussit à avoir le métier de ses rêves et qui, malgré toutes les merdes qu'il lui est arrivé, réussit à garder la tête haute et à tout affronter.

Mais, qui en plus d'être une femme forte, elle était une mère extraordinaire. Qui, même surmenée par le boulot, trouvait toujours le moyen de s'occuper de moi et qui, même si j'avais un alter de " vilain ", ne laissa jamais son jugement altéré, qui trouvait toujours un moyen de me rendre plus heureux et de me remonter le moral (même si certaines de ses techniques étaient spéciales... La citation dans la boite à tartine en est un bon exemple) et me protégea jusqu'au bout et ce malgré la pression, le surmenage, les critiques et préjugé à répétition. Elle m'a créé énormément de bon souvenir. Comme la fois où on avait gagné la première place au la main et a ainsi clouer le bec à plein d'élèves au concours du meilleur joueur de jeux vidéo en classe. Il y en avait d'autres plus émouvants, comme lorsqu'elle a débattu avec le proviseur pendant plus de deux heures pour prouver mon innocence dans cette rumeur. Elle n'avait pas démordu et se battait comme si c'était pour elle. En plus je voyais bien qu'elle se retenait de l'insulter de tout mot et fracassée sa tête sur son bureau. Mais son calme paya, le proviseur déclarant forfait face à la rage de ma mère. Je ne l'avais que peu vu comme ça, il en fallait beaucoup pour la mettre autant en rogne. Mais j'étais en un certain sens ému de la voir me défendre à ce point. Bien que je me rappelle qu'elle avait bien insisté que si je le souhaitais je pouvais lui demander de changer de cette école de "personne avec un QI douteux en manque de café". D'autre plus spéciales, comme la fois où elle a manqué de se battre contre une maman d'élève parce qu'elle avait poussé son fils à m'insulter ou alors quand elle essayait de retenir ses insultes par d'autres mots (comme chacal, lama, strudel ou le tristement célèbre pigeon) et qu'elle passait son temps à "insulter" les autres à chaque fois qu'on osait nous faire une remarque. Je ne sais pas si c'est lié au fait que ce soit mon unique parent, mais nous étions très fusionnels.

- Mais maman c'est quoi qui totalement détruit votre couple ?
- Ah tu t'en es souvenu petit malin ! Moi qui espérais que tu oublies cette partie.
- Pourquoi ?
- Parce que j'avais promis à ton père de le dire à personne. Mais je t'ai également promis de tout te dire sans mensonge alors je suis bloqué.
- C'est si secret que ça ?
- Ça ne devrait pas l'être mais notre société trouve que ça ne rentre pas dans la case unitaire du Japon.
- C'est quoi ?
- Je ne dirai rien ! Comme ça je ne trahis aucune de mes promesses !
- Maman...
- ...

Elle ne m'a jamais expliqué pourquoi. »

Il ne savait pas pourquoi, mais, à cette pensée, il fut triste.

Pour la première fois, il ne pleura pas le nom de sa mère, mais celui de son père.

The Justice League - Tododeku/ShinsoxocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant