4 - Lundi 7 Mai 2018

3 1 0
                                    

Adossé contre le mur face à la machine à café, les bras croisés sur la poitrine, Mathias avait l'air encore plus absent que d'habitude tandis qu'il soufflait sans regarder la vapeur qui s'élevait de son gobelet en plastique.

-Ça va, Math ?

C'était Eléonore qui venait d'entrer dans la salle de pause, constata Mathias d'un coup d'œil distrait. Il répondit à la question de sa collègue par un haussement d'épaules. Que pourrait-elle lui répondre s'il lui disait que sa femme était devenue folle ? Qu'elle compatissait ? Qu'il fallait qu'il s'accroche ? Il en avait suffisamment bouffé de ces réponses toutes faites à la con.

-Hésite pas si t'as besoin de parler en tout cas.

Mais oui, on lui dira, ne put réprimer Mathias dans sa tête. Eléonore pourrait dormir la conscience tranquille cette nuit, elle avait fait sa b.a., mais au fond elle devait être ravie qu'il ne vide pas son sac auprès d'elle. Qu'est-ce qu'elle en avait à foutre de ses états d'âmes ? Mais alors que sa collègue lui souriait gentiment, Mathias s'en voulut. Qu'est-ce que les autres pouvaient faire de plus pour l'aider hormis être là pour l'écouter ? C'était injuste de leur en vouloir pour leur impuissance comme il était injuste que Stéphanie soit morte et que Valentine ait perdu la raison. Tout dans sa vie n'était plus qu'injustice et Mathias n'avait plus que la colère à laquelle se raccrocher mais son aigreur finirait par pourrir le peu d'humanité qui lui restait s'il continuait sur cette voie. La majorité du temps, il l'acceptait comme une fatalité. Les instants où il en prenait conscience, comme maintenant, il détestait voir ce qu'il devenait et s'efforçait d'y remédier. Mais ces pulsions de vie ne duraient jamais très longtemps malheureusement. Tôt ou tard, le cercle vicieux qu'avait engendré la mort de sa fille finissait toujours par le reprendre au piège.

-Ça fait une semaine que j'ai pas parlé à ma femme, déclara soudainement Mathias à la surprise de sa collègue. Depuis l'accident, elle n'avait presque plus rien dit et ne sortait plus de la chambre de Stéphanie mais lundi dernier, quand je suis rentré du boulot, elle est venue me voir au salon.

-Qu'est-ce qui s'est passé ? lui demanda Eléonore avant de boire une gorgée de café.

-Elle était presque joyeuse bizarrement mais j'étais trop surpris pour trouver ça suspect, analysa Mathias en même temps qu'il le racontait. Elle me disait le genre de trucs qu'on se raconte pour se rassurer, comme quoi Stéphanie était toujours là, qu'elle veillait sur nous, tu vois ? Même si je crois pas à tout ça, au moins j'étais soulagé qu'elle me reparle enfin, j'avais l'impression qu'elle commençait enfin à tenir la tête hors de l'eau, que j'étais plus seul...

-Mais qu'est-ce qui s'est passé pour que vous vous parliez plus depuis une semaine ?

-C'est pas moi qui refuse, c'est elle, tint à préciser Mathias. Elle m'en veut parce que je suis pas entré dans son délire. Elle a voulu me montrer une « preuve » dans la chambre de Stéphanie comme quoi elle était toujours auprès de nous et tu sais ce que c'était, sa « preuve » ?

-Non.

-Des photos. Des photos de notre fille partout sur les murs. Elle avait accrochées toutes celles qu'elle avait pu trouver et était sûre et certaine que Stéphanie la regardait.

Eléonore tiqua.

-Elle était persuadée que les yeux de Stéphanie la suivaient et que c'était la preuve qu'elle était encore là. Ça m'a rendu fou qu'elle trouve encore un moyen de nier les faits, qu'elle trouve encore une excuse pour me laisser tout supporter, alors j'ai arraché toutes les photos, toutes ! la voix de Mathias s'emplissait de colère au ressouvenir de la scène tandis qu'Eléonore semblait de plus en plus intriguée par son récit. C'est elle qui est devenue folle après ça. Elle m'a poussé hors de la chambre et depuis elle en est plus sortie et ne répond plus quand je lui parle. Je sais plus quoi faire... Je sais même plus si je l'aime encore, osa-t-il même enfin dire à voix haute.

Ils voient.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant