7 - Samedi 12 Mai 2018

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En moins d'une semaine, depuis que Mathias en avait pris connaissance, le phénomène était devenu viral. Il avait suffi qu'un JT en fasse une édition spéciale pour que toutes les autres chaînes suivent le mouvement. Dans les kiosques et les rayons « Presse » des grandes surfaces se multipliaient les couvertures tapageuses. « On nous surveille ! » titraient certains magazines de façon putassière pour gonfler leurs ventes. « Paranoïa généralisée ou phénomène inexpliqué ? » questionnaient d'autres plus justement. Cela dit, à l'ère d'Internet et des réseaux sociaux, où l'information allait plus vite que la réflexion, les médias traditionnels étaient déjà formidablement en retard lorsqu'ils se décidèrent enfin à parler des étranges faits qui survenaient partout à travers le globe. Tout le monde avait déjà pu lire des centaines d'articles, d'histoires et d'anecdotes sur le sujet sur la toile avant qu'ils ne daignent s'y intéresser. Tout le monde avait déjà sa théorie pour expliquer les faits, donnant lieu à des dialogues de sourds entre croyants et sceptiques qui enflammaient les forums de tous les sites existants. Personne ne pouvait plus ignorer qu'il se passait quelque chose désormais, son couple avait été suffisamment perturbé par l'irruption du phénomène dans leur vie pour que Mathias en sache quelque chose.

Contrairement à la majorité des gens qui s'interrogeait et s'inquiétait légitimement sur l'origine du phénomène, Mathias, lui, ne voyait dans son ampleur mondiale que la confirmation de sa conviction : sa fille n'avait rien à voir là-dedans et Valentine ne pourrait plus le nier très longtemps. Peu importait à Mathias qu'il s'agisse d'une attaque biochimique comme le suggéraient certains théoriciens du complot, d'une invasion des reptiliens ou d'extraterrestres comme le croyaient certains illuminés sur Internet ou une nouvelle mode de photomontage particulièrement sophistiquée, il voulait simplement que sa femme arrête de fuir. S'il essayait de se convaincre qu'il n'était motivé que par l'envie d'aider Valentine, au fond, Mathias se savait guidé par la rancœur. Celle-ci avait pris le pas sur tout le reste depuis leur dernière dispute. Il n'arrivait plus à avoir pitié d'elle. Il ne lui pardonnait plus de le laisser seul faire face à la réalité comme il la jalousait de croire en la présence de Stéphanie et d'y trouver du réconfort là où lui en était incapable. Il voulait simplement qu'elle souffre autant que lui, qu'elle n'ait plus la moindre échappatoire.

Ce matin-là, avant qu'il ne parte travailler, Mathias laissa volontairement la télé allumée sur une chaîne info avec le volume quasiment poussé au maximum. Comme prévu, on y parlait en boucle du « phénomène d'observation ». À défaut d'écouter, Valentine, avec qui il n'avait plus reparlé depuis lundi, serait bien obligée d'en entendre parler durant le laps de temps qu'il lui faudrait pour aller éteindre la télé. Ce qu'elle ferait certainement dès l'instant où il aurait quitté l'appartement. Mathias n'attendait pas vraiment que ça change quoi que ce soit mais il recommencerait tous les jours s'il le fallait. Elle ne pourrait pas se réfugier éternellement dans la chambre de Stéphanie, coupée du monde dans son délire.

L'oreille collée derrière la porte de ladite chambre, Valentine guettait le départ de Mathias que le son de la télé faillit couvrir. Elle crut discerner le bruit de la porte d'entrée s'ouvrir et se fermer mais attendit deux longues minutes avant d'entrouvrir celle de la chambre pour jeter un œil dans le couloir. Quand elle fut sûre que son mari était parti, elle se rendit au salon d'un pas pressé où elle prit la télécommande sur la table-basse avant de la pointer en direction de la télé. Valentine se contenta alors de simplement baisser le son, puis elle s'assit sur le canapé pour écouter la suite de l'émission. La curiosité l'avait emporté. Elle posa la télécommande devant elle avant de commencer à se ronger les ongles, ses yeux rivés sur l'écran emplis de doutes et de faux-espoirs. Parmi les nombreux témoignages qui furent présentés au cours de l'émission, il y en eu un en particulier par lequel Valentine se sentit concernée. L'histoire d'un photographe de mariages qui n'arrivait plus à travailler depuis qu'il s'était aperçu qu'il était « regardé » par les couples et familles qu'il avait immortalisé. Il en donna la preuve en image et les derniers espoirs de Valentine se volatilisèrent. Ces photos « voyaient », pourtant elles n'étaient pas de Stéphanie, ni même de morts.

La première chose que remarqua Mathias lorsqu'il rentra ce soir-là du travail fut le silence. Sûr que sa femme avait dû malgré elle écouter quelques informations sur l'actualité en allant éteindre la télé, il lança en direction de la chambre de Stéphanie où elle était forcément enfermée :

-Alors ? Tu penses quoi de tout ça ? Tu crois encore que Stéphanie est avec nous ? ne put-il s'empêcher de la provoquer.

Mais sans surprise, il n'obtint toujours aucune réponse. Dans le salon, Mathias fut néanmoins surpris de voir que la télé n'était pas simplement éteinte : elle était fracassée au sol l'écran face contre terre. Valentine avait réagi bien plus violemment qu'il ne l'avait imaginé. Aussitôt, sa rancœur laissa place à l'inquiétude. Il se précipita vers la chambre de leur fille où, étonnamment, la porte était ouverte. Sur le lit, toutes les photos de Stéphanie étaient déchirées, éparpillées en mille morceaux.

-Val ? Val ?!

La panique l'envahit. Elle n'était pas dans leur chambre non plus ni dans la cuisine. Il ne restait plus que la salle de bain. Bain de sang qu'une lame de rasoir avait libéré. Allongée dans l'eau rouge, Valentine était d'une pâleur fantomatique. Mathias, dévasté, serra dans ses bras son corps qu'aucun pouls n'animait.

Il avait réussi, elle avait finalement ouvert les yeux.

Ils voient.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant