Chapitre 1

915 81 22
                                    

Rien ne pouvait autant effrayer Gabrielle que ce cauchemar à répétition.

Celui-ci tournait au creux de sa mémoire et lui donnait l'impression de devenir folle.

Elle revit cette scène une centaine de fois : Elle, tenant comme elle put la main d'Adrian lors de leur chute.

Elle se souvint de la violence de celle-ci. Les branches tombantes l'effleurer, les orties irriter sa peau, ou encore des rochers à tailles variées les heurter de plein fouet.

Elle se souvint de la douleur que lui avait procuré son accident. Mais aucune n'était équivalent à celle qu'était de perdre aussi tragiquement la fille qu'elle aimait.

Elle revit alors cette vision d'horreur. Rien que le pauvre corps d'une jeune femme inanimé et déchiré de toute part, sur cette herbe encore tâchée de sang séché. 

La chute ne l'avait pas tuée. Il y avait eu autre chose.

Le moindre détail était inscrit dans sa tête. Tant inscrit en elle que Gabrielle aurait presque pu définir ce souvenir comme une partie intégrale de sa personne. Elle reflétait toute sa culpabilité, toute sa rage, toute l'injustice qu'elle méprisait. Cette terrible remémoration fit naître une terreur grandissante qui, comme autrefois, paralysait chacun de ses muscles.

Dès lors que ses yeux s'ouvrirent précipitamment, Gabrielle se redressa quasi-instantanément dans un sursaut. Chaque bouffée d'air qu'elle prenait la tordait de douleur et quand bien même elle tentait de le retenir, son souffle lui échappait.

Ses mains cherchèrent un quelconque repère, avant de sentir glisser sous ses doigts un doux tissu s'apparentant à de la soie qui ne lui était pas inconnu.

Au contact de celui-ci, Gabrielle comprit enfin.

Un cauchemar, encore ce cauchemar.

Elle prit quelques instants pour reprendre ses esprits et s'imprégner de sa réalité. Sous ses yeux se dressait une charmante chambre, munie de dorures de tous les côtés. A approximativement trente-deux pieds en face d'elle se trouvait un immense miroir disposé sur un chevalet de bois, projetant l'espace dans lequel elle se trouvait. Un lit immense légèrement surélevé, parsemé de toute une ribambelle de tissus en tout genres et toute taille, mais aussi d'une dizaine de coussins et de quelques traversins qui avaient pour seul point commun leur douceur et leur chaleur réconfortante.

Enfin, son regard se posa sur l'homme qui se trouvait à ses côtés.

Celui-ci dormait encore paisiblement, tandis que Gabrielle continuait de l'observer silencieusement, s'assurant que son réveil brutal n'avait pas perturbé le sommeil de son partenaire.

Ses yeux se posèrent sur ses cheveux noirs décoiffés, parfaitement en accord avec sa peau mate, puis enfin le doux mouvement de son corps que produisait sa respiration. Le voir ainsi, dépourvu de toute insigne démontrant sa grandeur et sa majesté était un spectacle unique et Gabrielle en profitait bien. Elle se fit enivrer d'un sentiment de fierté et de grande satisfaction qui la consolait de son mauvais rêve.

Elle avait face à elle la proie la plus importante dont elle n'eut jamais à faire face de sa vie. Le voir ainsi à découvert et vulnérable lui procurait cette exaltation qui nourrissait sa passion. Elle ne ressentait pas cela souvent, mais savait que ceci faisait partie d'elle. Une envie qui, bien qu'elle se fasse discrète, ne disparaissait jamais totalement. Elle n'avait pas perdu son objectif de vue et savait pertinemment qu'elle n'aurait jamais pu rêver mieux.

Cette ivresse qui remplissait son cœur de joie prit finalement fin. Son regard redevint impassible et son esprit aussi vide qu'il ne l'était autrefois. Elle se sentit même malheureuse durant un quart de seconde face à cette apparition aussi brève. Qui l'eut cru que se sentir complet était d'une complexité sans nom ?

Machinalement, Gabrielle se plaça en bord de lit, descendit le long des marches qui le reliait jusqu'au sol avant de poser délicatement ses pieds sur un tapis aux divers motifs. Même sur quoi elle marchait valait bien plus que tout ce qu'un citoyen classique pouvait désespérément convoiter.

Elle se dirigea vers deux grandes et lourdes portes en bois sur lesquelles étaient gracieusement taillés un tas de motifs artistiques qu'elle ouvrit le plus discrètement possible. Celles-ci menèrent à un balcon fort élevé et soutenu par d'immenses colonnes doriques depuis lequel elle put admirer la cité dans son entièreté. Un tas de maisons diverses et variées se dressèrent sous ses yeux. Certaines encore éclairées par des chandelles, d'autres plongées dans le noir, tandis que certains commerces tentaient encore d'accueillir le peu de citoyens encore à l'extérieur par ce soir brumeux.

Dès lors qu'elle fut entièrement sortie, un vent décoiffa ses magnifiques cheveux blonds. Ces mêmes cheveux capables d'hypnotiser quiconque au sein de la cité.

Cheveux d'or, si atypiques, qui rendaient tous les hommes fous à la ronde.

C'est bien pour cela qu'elle avait été choisie pour être la future femme du roi et transmettre ses gènes si particuliers à leurs futurs enfants. La famille royale se devait d'avoir un physique avantageux afin d'en donner une belle image.

Gabrielle sentit la fraiche brise s'infiltrer sous son léger péplos brodé, lui arrachant un frisson. La nuit était désormais bien tombée et elle savait que tomber malade quelques jours avant sa cérémonie de mariage n'était pas avantageux.

-Vous me semblez bien pensive.

Comme prise sur le fait, la femme se retourna un peu trop précipitamment pour qu'elle ne puisse encore nier sa surprise.

-Sire... je ne vous ai pas entendu arriver.

-Appelez-moi par mon prénom, je vous prie. Cela fait déjà plusieurs mois que je vous le demande. Vous ne vous sentez pas encore à l'aise ?

-Vicente...

-M'en voilà ravi.

Gabrielle n'était effectivement pas encore à l'aise avec cette idée. Elle souhaitait garder ces distances avec le roi et avoir le grand privilège de l'appeler ainsi lui donnait l'impression que toutes les barrières étaient franchies.

Or, elle ne voulait pas se le permettre. Elle ne pouvait pas.

Ce qui était sacrément ironique, puisque l'homme en face d'elle n'était nul autre que celui avec qui elle était supposée bâtir sa vie toute entière.

-Vous... vous vous sentez bien ?...

Le murmure précautionneux de Vicente sortit la femme de ses pensées. Il lui était inconcevable qu'il puisse s'inquiéter ou se questionner à son sujet. Elle ne devait montrer aucune faille, aucune. Même lors d'un soir comme celui-ci, où Gabrielle se sentait submergée de tout ce qui l'avait forgée dans son houleux passé. Elle était au-dessous de tout ça, désormais. Ce n'était qu'un futur bien plus radieux qui l'attendait.

Elle se mit à sourire en posant délicatement sa main sur la joue de son précieux fiancé.

-Tout va très bien. Je suis simplement épuisée avec tous ces préparatifs de mariage... Nous ferions mieux de retourner nous coucher, la journée de demain sera tout aussi longue que celle-ci, hélas.

Avant même que Vicente puisse répliquer, Gabrielle se mit en marche, laissant glisser ses doigts le long de son visage puis de le quitter.

Si les gestes de celle-ci savaient se faire doux, les pensées qui se succédaient dans sa tête n'en étaient pas moins effroyables.

Le plan était en exécution.

L'Agneau et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant