15. Fissures

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XV, Partie 1.


Ansol passa le reste de la nuit éveillée, incapable d'oublier ce qui venait d'arriver. En rentrant, elle prit un bain et resta de longues minutes à revoir cette scène dans son esprit.

La créature et son affection ; elle-même et ses sentiments, soudain si fracassants. Personne ne s'était encore jamais donné la peine de l'aimer. Elle découvrit un tout autre univers — celui-ci débordant de concepts inconnus et déroutants, bien différents de ceux auxquels elle fut exposée tout au long de sa vie.

Tendresse et bienveillance.

Amour, adoration, admiration.

Dévotion.

Ce dernier en particulier était d'une nouveauté sans précédent.

Celle qui ne vivait plus que pour elle-même ressentait tout à coup le besoin de se vouer à un autre. De parler, de bouger, de vivre pour suivre l'ombre de quelqu'un. Raisonnable ou non, c'était ce qui lui semblait le plus juste.

Et dans une énième heure à cogiter dans le noir, le souvenir de Qira caché derrière le mur en train de l'écouter resurgit.

Cette vision, hostile et douloureuse, hanta le reste de sa nuit.

Une personne dont elle ne connaissait rien de plus qu'un nom et quelques qualités était au courant de son secret. Ansol avait peur, car elle n'avait confiance qu'en Darya et son titan. Elle crevait d'envie de lui effacer la mémoire, de revenir en arrière juste pour décider de se taire et de simplement s'en aller. Mais cela était impossible.

Et tandis que l'aube vint peu à peu éclairer les murs de sa chambre, Ansol parut finalement s'assoupir.

On frappa soudain à la porte. Et quelques secondes après, celle-ci s'ouvrit.

— Debout. Il faut vous préparer, fit aussitôt Félis.

L'alchimiste émergea difficilement, la fatigue impossible à ignorer. La servante pénétra dans ses quartiers d'un pas rapide et ouvrit en grands les rideaux. Elle fit un tour des lieux, comme pour s'assurer de leur bon entretien et soupira en voyant ces piles de livres au pied du lit.

— Que se passe-t-il ? fit Ansol en se redressant.

— Sa Majesté vous demande. Mettez ceci et attachez vos cheveux.

— Soudainement ? Pourquoi ? répondit-elle avec inquiétude.

Félis déposa au même moment sur les draps une robe noire droite à manches longues.

— Il n'est pas peu commun pour un souverain de faire appel à ses alchimistes. Il est de votre devoir de le servir, et ce peu importe l'heure à laquelle il vous sollicite.

Ansol posa alors les yeux sur le vêtement et ne dit rien. Depuis quand Félis était-elle levée ? Ce château ne dormait-il donc pas ?

— On se dépêche.

— Merci de m'avoir prévenue, vous pouvez sortir.

— Mais, je...

— Je dois me changer, je n'en ai pas pour longtemps. Sortez, s'il vous plaît.

Le ton autoritaire d'Ansol parut grandement lui déplaire et Félis afficha une forte expression contrariée. Mais finalement, elle tourna des talons et sortit.

— Vous avez dix minutes, dit-elle à l'alchimiste d'un regard devenu méprisant. Je vous attends devant.


* * *

Les Mouettes aux Ailes RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant