1. La Baie d'Allin

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Avertissement : Des passages font mention de violences corporelles et peuvent heurter la sensibilité de certains.

I.

Si les jours de marchés n'étaient pas bons, Ansol redoutait par-dessus tout le retour à la maison.

Un jour en particulier, elle ne vendit presque rien. Pire encore, la somme qu'elle possédait allait lui coûter gros. La peur l'envahit complètement et elle n'osa pas reprendre la route. Assise sur son chariot de marchandises, elle observait les autres vendeurs entasser leurs caissons sur leur charrette.

Vingt-deux sous. Je n'ai que vingt-deux sous.

Ansol se mit à pleurer, terriffiée. Se débarrasser ne serait-ce que d'une pièce était impensable. Sa famille ne pouvait pas se le permettre.

Elle se revoyait déjà forcée de dormir dans la grange sur l'herbe froide des chevaux pendant des jours. Elle anticipait la folie de sa sœur lui écraser les mains à coup de sabot ; imaginait les poings enragés de ses frères lui torturer le ventre.

Ansol se recroquevilla sur elle-même, les hurlements de sa mère s'abattant déjà sur elle comme une gigantesque vague. Figée, elle entendit le son vif et sec de cette fine branche que son père remuait au rythme de ses pas, son ombre en approche prête à lui dévorer la peau.

— Quelle mauvaise mine tu as.

La voix d'une vielle femme sortit brusquement Ansol de ses pensées et elle redressa la tête. Elle la dévisagea et se leva.

— Ce que tu es maigre et sale..., continua l'autre.

— Les autres garçons sont tous pareils, répliqua-t-elle. Crasseux et fatigués. Regardez autour de vous.

— Et cette odeur ! J'ai rarement vu un gamin dans un tel état.

Ansol essuya ses larmes d'un geste vif, agacée de se faire insulter, et se détourna précipitamment. Elle subissait assez chez elle.

Ni une, ni deux, elle rassembla le reste de ses affaires et les jeta sur son gros chariot. Une demi-heure à cheval la séparait de son foyer. Une demi-heure durant laquelle il lui fallait trouver une bonne excuse, un moyen d'échapper peut-être à l'un de ses plus gros châtiments. Et pour couronner le tout, la plaie récente de sa main ne semblait pas cicatriser correctement.

— Combien pour cette cagette ? reprit la vieille dame.

Elle pointa du doigts des mandarines à peine visible sous une bâche recouvrant la cargaison. Ansol la regarda aussitôt, prise de court par sa demande.

Voilà sa solution.

— Onze sous, répondit-elle enfin.

— Onze ?! Ce n'est pas donné !

— On ne trouve cette variété qu'aux alentours de la falaise d'Allin, rétorqua rapidement Ansol. Elles sont assez rares et difficiles à récolter. Ma famille utilise leur chair à des fins thérapeutique. Très bonnes pour l'estomac.

Tout était faux. Mais il fallait vendre à tout prix.

— Un jeune homme comme toi n'a-t-il pas encore eu échos des dangers de la baie d'Allin ?

— Si, justement. La rareté justifie le prix.

Ansol connaissait cet endroit pour ses légendes étranges, mais aussi pour des faits plus personnels. Elle faillit à plusieurs reprises tomber dans ce précipice, la malice incessante de sa sœur et de ses suiveurs l'entraînant jusqu'au bord de la roche coupante pour la punir. Il s'agissait toujours de l'effrayer, de la faire trembler de peur jusqu'à épuisement. Tous les moyens étaient bons.

Les Mouettes aux Ailes RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant