Chapitre 66

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À l'instant où Harry avait vu le rayon vert de l'Avada se précipiter vers Régulus, il avait su. Il avait su qu'il ne pouvait pas le laisser mourir, il avait su que Voldemort allait réussir à les séparer.

En une fraction de seconde, il avait su.

Heureusement, il avait réussi à apaiser la colère de Reg envers son grand frère et Sirius semblait se souvenir qu'il aimait son petit frère. Il savait que son parrain ne ferait pas deux fois les mêmes erreurs, qu'il ne laisserait plus jamais Reg tomber, qu'il le protégerait.
Severus serait là lui aussi. Son professeur de potions s'était adouci au fil des jours et il avait noué une timide amitié avec Régulus. Au-delà des souvenirs amers de leur scolarité et de leurs erreurs communes, ils s'appréciaient réellement. Assez pour que Harry soit sûr que Régulus ne se retrouve pas seul... après. Après sa mort.

Alors, sans le moindre doute, il s'était jeté devant Régulus, trop loin de lui pour pouvoir l'enlacer une dernière fois ou juste le toucher. Il avait juste pu le regarder, de loin, l'esprit apaisé. Il l'avait fixé avec un sourire aimant, son esprit entièrement tourné vers lui, n'hésitant pas un seul instant à se sacrifier pour le protéger.

Puis, l'obscurité.


Harry avait l'impression que son corps pesait des tonnes. Simplement cligner des yeux lui demanda un effort colossal. Pourtant, tout était toujours aussi noir autour de lui. Il était dans les ténèbres, sans pouvoir bouger, sans comprendre ce qui se passait.
L'esprit engourdi, il se laissa aller, s'imaginant flotter, indifférent à ce qui se passait autour de lui.

Il dériva longuement dans une semi-inconscience, l'esprit vide, quand le visage de Régulus s'imposa à lui. Aussitôt, il eut l'impression que son cœur se mettait à battre, rapidement, fort.

Il se laissa submerger par Régulus, par ses souvenirs. Leurs souvenirs. Son odeur, la chaleur de sa peau, la douceur de ses caresses.
Le temps passé à Eilean Nan Ron, leur rapprochement timide. Ils avaient mis le temps, se tournant autour, incapables de s'éloigner l'un de l'autre. Ils avaient été amis en premier, parlant des heures, appréciant la compagnie de l'autre même dans le silence.
Puis... la façon dont il avait ôté la marque, leur premier baiser éblouissant et la crainte d'être séparés alors que le temps de Harry dans le passé arrivait à son terme.

Harry avait prié de toutes ses forces pour ne pas être séparé de Régulus, dès qu'il avait commencé à le considérer comme un ami, avant même de comprendre qu'il l'aimait. Il avait espéré un miracle... et il avait été exaucé. Régulus l'avait suivi et l'avait soutenu au-delà de ses espérances lorsqu'il s'était effondré. Régulus avait été son roc, ainsi que l'espoir d'un avenir heureux. Harry ne parvenait plus à imaginer sa vie sans lui, privé de sa présence.


Depuis qu'il avait appris le rôle qu'il devait jouer dans la guerre, Harry n'avait jamais osé espérer tomber amoureux. Il avait entendu parler d'amour depuis toujours, Dumbledore lui assurait que l'amour était la clé de tout, tout le monde lui racontait l'amour parfait de ses parents. Mais lui... il ignorait ce que c'était que d'être aimé et d'aimer. Il pensait qu'il n'aurait pas le temps de découvrir ce sentiment, qu'il serait mort avant de vivre réellement.


Régulus avait tout balayé. Ses doutes, ses craintes et même ses certitudes.


Son attirance pour le jeune homme l'avait déstabilisé, mais il n'avait pas voulu le repousser ou se poser de questions. Il vivait dans un abîme de solitude depuis si longtemps qu'il s'était accroché aux premiers gestes tendres envers lui, avide de ce contact qu'il n'avait jamais connu. Ils étaient isolés, ce qui avait probablement intensifié et accéléré leurs sentiments, mais ces derniers étaient réels. Les deux adolescents avaient été pleinement sincères et leur amour était né sans qu'ils l'attendent.

Ensuite... Harry avait vaguement pensé que si les Dursley découvraient un jour qu'il aimait un autre garçon — de cette façon — ça ne ferait que renforcer leur opinion à son sujet, sur sa monstruosité. Puis, il avait balayé cette pensée aussi vite qu'elle était venue : il y avait bien longtemps qu'il ne portait plus attention à la façon dont sa famille moldue le voyait et de tous les qualificatifs qu'il pouvait attribuer à Régulus, « monstrueux » n'en faisait certainement pas partie.

Habitué à être seul et à ne compter que sur lui-même, Harry avait simplement accepté l'attirance qu'il ressentait pour Régulus. Attirance qui était vite devenue quelque chose d'autre, de plus profond.
Persuadé d'être repoussé, il avait gardé le silence sur cet amour naissant, profitant de l'amitié que Régulus lui offrait, en se disant qu'il n'aurait jamais plus. C'était à ce moment qu'il avait décidé qu'il le sauverait, quoi qu'il arrive. S'il arrivait à rendre Régulus heureux, il lui semblait que ce serait moins pénible de se sacrifier — une nouvelle fois. Harry avait un nouveau but, qui lui paraissait bien plus attrayant que la survie du monde magique qui lui avait tourné le dos tant de fois.

Et puis... il y avait eu ce moment où ils s'étaient embrassés. Juste avant la fin de leur temps ensemble, après que Harry ait réussi à lui retirer la marque des Ténèbres. Ça avait été timide et maladroit au début, avant de se transformer en quelque chose d'unique. Harry savait qu'il n'oublierait jamais cet instant, ce moment de pur bonheur où il avait compris qu'il aimait Régulus et que ses sentiments étaient partagés.
Le jeune homme avait cru exploser de joie et avait volontiers répondu au baiser de Régulus, se laissant aller en toute confiance entre ses bras, et avec l'impression qu'il était enfin à sa place.


L'idée de ne plus jamais embrasser Régulus, de ne plus pouvoir se coller contre lui ou le prendre dans ses bras le fit s'agiter et se débattre dans cette noirceur. Il ne voulait pas être séparé de lui, il ne voulait pas que Voldemort s'en sorte et puisse blesser le jeune homme qui avait capturé son cœur.

Pour la première fois depuis qu'il savait qu'il était un sorcier, il eut l'impression de sentir sa magie. De la sentir physiquement. Comme Régulus le lui avait appris, c'était une présence presque sauvage, distincte de sa propre personnalité. C'était comme un animal effrayé qu'il devait apprivoiser.
Il sentit sa magie se déployer autour de lui, s'agiter, devenant presque suffocante alors qu'il cherchait à bouger, à se relever.

Puis, toute sa magie se rassembla et plongea dans son corps, et il eut l'impression d'ouvrir la bouche sur un hurlement muet. C'était douloureux et déroutant. Son dos se creusa, formant un arc et il inspira brusquement.

Ses pensées s'éparpillèrent, jusqu'à ce qu'il ne reste plus dans son esprit que le prénom de Régulus, répété comme une litanie. Harry eut l'impression de tomber, une chute interminable, infinie, incapable de s'accrocher ou de stopper ce phénomène étrange.

Dans un bref instant de lucidité, il se jura qu'il retournerait une fois encore dans le temps pour aller chercher Régulus, pour le garder près de lui si jamais Voldemort avait osé le toucher. Au diable le monde magique, seul Régulus importait.

La douleur explosa dans son corps entier, soudain, comme s'il venait de toucher le sol. Chaque cellule de son être semblait souffrir et il se força à prendre une grande inspiration. Ses poumons le brûlèrent, mais il se sentit vivant.

Il cligna des yeux, surpris de se rendre compte qu'il n'y avait plus d'obscurité. Il vit Eilean Nan Ron autour de lui, puis le visage baigné de larmes de Régulus, et il croassa, incertain, essayant de lever la main vers lui pour caresser sa joue.
— Toi aussi, tu es mort ?



R. A. B.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant