Chapitre 6 - Le bruit

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         J'étais en train de découvrir qu'il existait pire que le bruit d'une alarme incendie. Pire que la résonance d'un voisin trop enthousiaste pour un dimanche matin. Pire que le balai incessant des voitures quand on essaie de se concentrer. Il existait ces sons. Ces petits bip. Ces signaux annonçant des messages. Différent pour chaque moyen de communication. Un sms, un son de cloche. Un mail, une petite goutte d'eau. Un appel, trois note de piano. Twitter, ce stupide petit pépiement d'oiseau. Instagram, mais qui choisissait cette sonnerie canard ? Apparemment, là moi de 25 ans... Et tous réunis, dans une cacophonie macabre, formait la mélodie de ma torture.

         Incapable de dire si cela faisait cinq minutes, cinq heures ou cinq jours, j'étais assise là, en tailleur, sur le sol de ma cuisine. Après avoir rentré le code SIM, je m'étais laissé glisser contre la porte du placard du plan de travail. Depuis, mon ancien téléphone, posé au-dessus de ma tête, chantait et vibrait à m'en crever les tympans. Puis soudain, tout s'arrêta. Plus aucun bruit. C'est fou comme parfois, le calme absolu peut être, lui aussi, assourdissant. Je rassemblais alors tout mon courage. La vraie torture commençait.

        Un milliard de sentiments différents se déchaînaient en moi, m'amenant à une unique constatation. Tout ce qui m'arrivait maintenant était mon oeuvre, j'avais été l'artisan de mon propre chaos. J'aurais pu, à l'époque, réagir de mille façons différentes, j'avais opter pour celle-là. Rien n'affirmait qu'une autre option aurait été meilleure ou encore plus catastrophique. Le passé ne pouvait pas être modifié et cette affirmation rendait le présent encore plus cruel.

        Le dernier message reçu datait de la veille de mon retour. Son expéditeur était Ken. Pour mon bien, je décidais de le garder pour la fin. Un peu comme dans un jeu, du style Mario Bross. Il fallait que je m'endurcisse avec les autres niveaux avant d'aller affronter le boss final.

        Les deux personnes qui avaient arrêté en premier d'essayer de me contacter était respectivement Clément, suivi à une semaine de différence, de Doums.

Ce dernier attira d'ailleurs tout de suite mon attention. Il y était écrit :

« Comment tu peux être à ce point sans cœur?? C'était ton meilleur ami, le seul qui t'as toujours défendu! T'as même pas eu le respect de venir! Tu sais quoi, tu m'dégoûtes! »

        Je n'arrivais pas à interpréter ce sms, mais un fort sentiment de culpabilité monta en moi. Mon meilleur ami était Clément justement et le fait qu'il est arrêté de m'envoyer des nouvelles signifiait, pour sûr, que j'avais dû le décevoir. D'une manière assez sévère pour qu'en prime Doums prennent la décision de m'écrire cela. Et pour décevoir Clément, il fallait vraiment ne pas y aller avec le dos de la cuillère.

         Les messages laissé par mon (certainement ancien) meilleur ami était à son image. Beaucoup de questionnement pour savoir si j'allais bien. Des pensées positives à mon encontre. Il avait toujours eu ce don de clairvoyance et tout ce qu'il m'avait écrit me réchauffait le cœur. En particulier deux messages. Le premier qu'il m'avait adressé peu de temps après mon départ, me disait qu'il était conscient que si j'avais pris la fuite de cette manière, c'est que je devais avoir une bonne raison. Qu'il me comprenait et qu'il me soutenait. Et si jamais j'en ressentais le besoin, il serait là pour m'écouter. Mais surtout, que je n'avais pas besoin de lui expliquer, que ça ne changerait en rien notre amitié inébranlable. Le second qui me toucha plus que les autres, était aussi le dernier message. Les larmes apparurent en même temps que je le lisais :

« J'ai pensé à toi en me réveillant. Idriss a dormi chez moi cette nuit. Ce matin, il m'a sorti du sommeil avec le bruit de la machine à café que tu m'as offerte. Ça m'a fait me rappeler quand c'était toi qui faisais ça. En me levant pour aller le rejoindre, j'ai un peu espéré que tu serais là, dans la cuisine, avec lui. Mais quand j'y suis rentrée, tu n'étais pas là. Même si je sais que tu as tes raisons d'être parti, il y a toujours des moments où ça me rends triste, comme aujourd'hui. Ce qui me fait surtout peur, c'est l'idée que je ne te reverrais plus jamais. Toi et ton grand sourire. En tout cas, sache que je te soutiens, que tu me manques et que j'ai hâte de te serrer à nouveaux dans mes bras. »

        J'avais besoin d'une pause. J'essayais au mieux de ravaler mes larmes en me dirigeant vers le rouleau de sopalin. J'épongeais mes joues et mes yeux en tremblotant, tout en calmant ma respiration. Je ne pouvais pas m'en vouloir, mais cette chose avait fait de moi la pire des personnes, la pire des amies.

        Ces mecs ne m'avaient pas juste volé mon corps et ma dignité cette nuit là. Ils m'avaient arraché mon essence, ma vie, mon univers. Ils m'avaient tout pris, ma joie de vivre, ma famille, mes amis, mon métier, mes passions, mes passe-temps, mes soirées à débattre sur le monde, mes fous rires, mes convictions, mes valeurs, tout ce qui faisait de moi la personne que j'étais. Et maintenant, ils m'obligeaient à fixer ce désastre, impuissante face à tous ces débris. Ma vie n'était plus qu'une ville ravagé par une bombe. Rien ne pouvait être sauvé, il ne me restait plus qu'à nettoyer les traces de cet attentat, trouver un nouvel équilibre et reconstruire.

        Souvent, quand on pense que le pire nous est arrivé, il monte en nous une drôle de sensation. Une sorte de détachement de tout. On se dit que peu importe ce qui se passera désormais rien ne pourra venir aggraver la situation. Qu'on a définitivement touché le fond, on ne pourra donc plus descendre plus bas, ni remonter d'ailleurs. Même s'il nous arrivait une expérience atroce, elle nous passerait au travers sans même déclencher ne serait-ce qu'un frisson. Le problème, quand cela nous arrive, c'est que le pire, le vrai désastre, le cataclysme véritable arrive en courant. Il fonce droit sur nous, avec toute sa puissance pour nous rappeler à notre condition d'humain. Cet état qui fait de nous des êtres d'incertitude et de faiblesse face au destin. On ne peut rien voir venir, on ne peut rien contrôler, on doit seulement apprendre à accepter et vivre avec.

        La tempête qui allait s'abattre sur moi n'arrivait pas en courant. Elle sprintait à une vitesse folle et s'apprêtait à tout engloutir sur son passage.

Avant Tu Riais - NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant