6 Juin 2022
Une valise dans une main, un gros sac dans l'autre, je tentais tant bien que mal d'escalader les marches de mon immeuble. Avoir passé les cinq dernières années sans avoir à gravir les escaliers d'immeubles parisiens n'avait pas aidé mon cardio. Essoufflée, en sueur et écarlate, voilà comment j'étais en arrivant sur mon palier. Je savais que se jouait maintenant un tournant majeur dans ma vie, et j'allais passer ce cap avec l'allure d'un homme préhistorique, voûtée et hagard.
Déjà cinq ans que j'étais partie, que j'avais fuie. Que j'avais laissé derrière travaille, famille et surtout amour. Là, devant ma porte, je me revoyais parfaitement bien, sortir comme en transe de chez moi avec les mêmes bagages. Courir jusqu'à ma voiture, claquer la portière, mettre le contact et prendre la route les larmes dévalant les joues. J'avais passé les dernières années à me soigner et pourtant ce souvenir faisait encore mal. Cette douleur gênante qui provoque des picotements au fond du ventre dans l'espoir de ne jamais avoir à la ressentir. Un peu comme si on évoquait l'idée d'avoir un ongle arracher, ça ne fait pas vraiment mal en soi cependant l'idée même fait qu'elle en devient insoutenable.
Avant de rentrer, j'essayais de me souvenir de l'intérieur de l'appartement. Il y avait quelques détails qui me restaient en mémoire, le gros canapé en velours brique du salon, le tapis que j'avais ramené d'Iran avec ses couleurs chaudes et sombres, la cheminée avec son grand miroir, ses photophores et ce vieux buste trouvé en Grèce. Bien entendu, mes étagères remplies de bibelots, de livres, de photos et souvenir de soirée. J'avais hérité de cet endroit à la mort de ma grand-mère, qu'elle-même avait hérité d'un oncle lointain et dans lequel elle n'avait jamais dénié y poser un pied. J'en avais alors fait mon refuge, mon cocon, l'endroit où je ne sentais à l'aise et en sécurité. Pourtant, tous ses efforts n'avaient pas suffi et de ça aussi, je m'en étais allée.
Ma plus grande crainte avant d'ouvrir la porte n'était pas vraiment mes meubles mais plutôt le choc que j'allais avoir avec ma vie d'avant. En fuyant, j'avais fini par atterrir sur une petite Île du Sud de l'Italie. Recueillie par une vieille dame qui louait la dépendance du fond de son jardin, mon style de vie avait radicalement changé. J'avais passé la plupart de mes journées à servir des cafés serrés à de vieux pêcheurs jouant aux cartes et à écrire pour exorciser ce qu'il mettait arrivé. J'allais être confronté à moi-même à 25 ans, épanouie et croquant la vie à pleine dent. Sauf que j'étais devenue une trentenaire un peu paumée, marquée par ses peurs et honteuse d'être partie.
Je ne m'autorisais pas vraiment à m'attarder sur mon intérieur avant d'avoir fait claquer la porte derrière moi du bout du pied et d'avoir posé les clefs sur le bord de l'étagère. La première chose qui attira mon attention, était la tonne de papier, de carnet et de tasses vides sur la table à manger. La deuxième, toutes les photos, breloques et autres souvenirs de Ken et moi, méthodiquement étalés sur la table basse du salon avec, pour les accompagner, un duvet et un oreiller sur le canapé qui lui faisait face. Une bouteille de Whisky vide et un cendrier avaient été abandonnés là, sur le tapis, au pied de la table. Je savais qu'il allait venir, pas qu'il investirait mon salon pour le transformer en une sorte de caverne. Les volets étaient fermés, l'air assez froid pour un mois de juin mais je sentais à l'atmosphère, qu'il y a quelques jours auparavant quelqu'un avait été là.
Un peu robotiquement, j'entrepris de ranger. Sans rien regarder ni lire. S'il y était venu ici pour écrire, c'est qu'il ne voulait pas que quelqu'un d'autre que lui puisse y avoir accès, j'avais déjà brisé assez de chose pour en plus ne pas respecter cela. Une fois tout remis à sa place, les feuilles empilées sur le coin de la table et les tasses dans le lave vaisselle, je me permis enfin à souffler. Cela se rapprochait plus d'une plainte émise par un animal blessé qu'à un soupir. Peut-être qu'il était encore trop tôt, peut-être que je n'aurais pas dû rentrer. Je savais ce que la journée du lendemain me réservait, entre la fatigue du voyage et le flux d'émotion face à cette découverte, je me résignais à baisser les bras. Mes valises, elles aussi, attendraient demain pour être vidé, laver ranger et je préférais me réfugier, en boule, sur le bout de balcon de la cuisine. Une cigarette pendante à la main droite, les yeux et le cœur dans le vide. Je contemplais le soleil se coucher sur Paris, le ciel se teinter de nuances orangées et rosées ainsi que la brise fraîche d'un fin de printemps faire onduler les feuilles des arbres de l'avenue sous mes pieds.
Je réussis à me retenir de pleurer jusqu'au moment de me glisser dans mon lit. Après une bonne douche salvatrice et mettre habiller du premier t-shirt que j'avais trouvé dans mon armoire, j'avais rabattu la couette du lit avec un geste las. C'est à ce moment précis quand le poids du tissu s'abattît sur moi et que mon nez entra en contact avec l'oreiller que je craquais.
Son odeur m'entourait. Il était partout autour de moi cependant le lit restait vide et froid. Le trou dans ma poitrine s'ouvrît en une déchirure bestiale, me dévorant de l'intérieur, me renvoyant à cette réalité que j'avais essayée tant bien que mal d'occulter pendant des années. Comme si, à force, j'avais fini par oublier que j'étais affamé et qu'on venait me faire sentir le fumet d'un délicieux repas, ce plat dont j'avais tant rêvé qui était de loin mon préféré mais que l'assiette restait désespérément vide. Je revoyais ces nuits passées ensemble, dans ce lit, ma tête au creux de son cou, ses cheveux me caressant la joue, son souffle balayant mes cils. Tout cela avait été réel mais n'existerait dorénavant plus jamais. Je me l'imaginais, lui aussi, seul, avoir dormi ici, subir la même agonie qui me déchirait les entrailles à cet instant.
C'est dans cet état second, que je finis par sombrer dans le sommeil, recroquevillée au milieu de mon lit, m'accrochant au drap comme à une bouée de sauvetage.
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Avant Tu Riais - Nekfeu
Hayran KurguIl y a cinq ans, j'ai dû prendre une décision. Partir, me sauver, l'épargner. M'enfuir pour me soigner afin de renaître, sans attirer personne avec moi dans cette chute. Il y a cinq ma vie à changée, ce n'était pas de sa faute mais il en a payé le...