12 Septembre 2022
« Je crois surtout qu'il a besoin de savoir. »
Cette phrase m'avait torturé tout l'été. Ce n'est qu'après le départ de Mikael, en me remémorant ce qu'il venait de se passer qu'elle m'avait percuté. De la manière dont il l'avait dit je m'étais arrêtée à : « il a le droit de savoir », une fois le : « surtout qu'il a besoin » relevé, les engrenages de mon cerveau c'étaient mis à tourner à toute vitesse. Il en avait besoin, comme on a besoin de repos après une longue journée de travail ? Comme on a besoin d'un pansement quand la blessure saigne trop ? Ou alors est-ce qu'il en avait besoin comme on a besoin d'eau pour ne pas mourir ? Mikael avait soufflé ses mots avec un tel aplomb que je comprenais que cela relevait du vital pour Ken et c'est justement ça qui me terrifiait. Comment allez dire à la personne que vous aimez le plus au monde que si vous êtes partie c'est justement parce que vous l'aimiez ? Aucune douleur, aucun acte d'abandon cruel ne peut être justifié par l'amour. C'est ce que disent les maris violents, je t'ai mis plus bas que terre, frappé, brisé parce que je t'aime. C'est ce statut qui m'immobilisait, tant que je ne disais rien, que je n'allais pas le voir, je ne pouvais pas être rangée dans cette case. D'un autre côté, plus j'attendais, consciente que je ne lui offrais pas cette libération dont il avait tant besoin, plus je me trouvais monstrueuse.
Heureusement pour moi, Ken avait été absent quasiment tout le temps depuis que Mikael m'avait trouvé. Ce qui m'avait permis de repousser cette confrontation que je voulais absolument faire en face à face. Mais comme il y a toujours un revers à chaque médaille, malheureusement pour moi, Ken était revenue depuis une semaine à Paris et le regard que Mikael m'avait adressé ce matin, après que je lui ai répondu que je n'avais pas encore trouvé le courage de lui rendre visite, avait valu mille mots.
Voilà pourquoi j'étais actuellement assise dans ce bus à espérer un carambolage de grande envergure, une prise d'otage musclée ou toute autre chose qui pourrait augmenter le temps de trajet jusqu'à sa porte. Je triturais mes ongles de manières insupportables, en tout cas cela avait l'air d'énormément agacé ma voisine qui venait de lever les yeux en soufflant pour la dixième fois en trois minutes. Je connectais alors mon regard au bouton « demande d'arrêt » en priant pour qu'elle ne me décapite pas dans les prochaines minutes, quoique... Après l'avoir exaspéré une dernière fois en m'extrayant du siège, les portes s'ouvrit enfin et tout en descendant, je me retrouvais catapulté des années en arrières.
Tout fut pénible pour arriver sur son palier. Sans m'en rendre compte et par automatisme, j'avais emprunté le chemin qui habituellement me menais jusqu'à chez lui. Cette marche avait été comme un pèlerinage, à la différence que les étapes qui ponctuaient, mon chemin, n'étaient pas des arrêts qui permettaient de me reposer, mais plutôt des rappels cruels de mon ancienne vie et de ce qui l'avait amené à son terme. Mon cœur s'était soulevé quand j'avais au loin vu apparaître ce petit bout de trottoir, mon estomac s'était retourné quand je l'avais franchi, ma gorge s'était serrée quand ce morceau de bitume derrière moi, la façade de l'immeuble m'avait fait face. En arrivant devant la porte cochère, un homme qui sortait m'avait maintenu la porte en m'invitant joyeusement à rentrer. Il ne me restait plus qu'une chose à faire, presser la sonnette de l'appartement pour prévenir son occupant qu'un cataclysme attendait derrière sa porte.
On y était. On dit que toute fin marque un début, je ne voyais pourtant aucune perspective à celle-là. Je savais juste, qu'une fois que j'aurais sonné, je signerais l'arrêt de ses années de fuite pour officiellement les offrir au passé. Tout ceci ne serait plus qu'un évènement marquant de ma vie. Ce genre d'histoire trop personnelle et délicate, celle dont on finit par ne presque plus parler ou seulement à voix basse, sous le pli de la confidence, quand il fait nuit et qu'on a le cœur en dentelle. Qui une fois avoué fait changer le regard de la personne à qui vous venez de l'exprimer. J'allais devenir cette fille, vous savez, celle à qui on n'imaginerait jamais que ça lui est pourtant arrivée. Je rejoindrais ce groupe d'inconnue, celles que les autres soutiennent en silence en priant pour qu'aucunes de leurs proches ne les rejoignent. Ces rescapées dont on ne veut pas prononcer les noms ni même leur donner de visage de peur que l'horrible réalité de la vie et des dérives de notre société ne nous sautent au cou. J'allais devenir cet être à qui on dit qu'il ne lui reste plus qu'à aller de l'avant.
Oublié et aller de l'avant. J'avais déjà bien amorcé cette démarche. Durant le mois d'août, j'étais retournée dans ma ville de naissance. J'avais retrouvé ma famille, essayé de rattraper au mieux le temps perdu et pensé à autre chose en créant de nouveaux souvenirs. Après une longue nuit, le soleil se relevait enfin. Cependant, à l'aube de ce nouveau départ, rien ne présageait que ce nouveau départ se déroulerait sous un soleil radieux. Je me dirigeais peut-être vers un orage ou pire vers une pluie fine et glacée, une bruine constante et grise qui rend toutes choses mélancoliques, lourdes et pesantes. Une vie à survivre douloureusement à défaut vivre normalement.
Depuis quinze jours, mon livre était sorti. J'avais disparu pendant cinq ans, révélé mon histoire à des inconnus, alors je lui devais bien ça. Ken méritait que je lui explique de vive voix plutôt que de l'apprendre par quelqu'un d'autre. J'effleurais la sonnette avec le plus délicatesse et de retenue possible, espérant qu'elle ne se déclenche pas. J'attendis presque dix minutes avant de timidement réitérer mon geste. Pourtant, personne ne vint m'ouvrir.
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Avant Tu Riais - Nekfeu
FanficIl y a cinq ans, j'ai dû prendre une décision. Partir, me sauver, l'épargner. M'enfuir pour me soigner afin de renaître, sans attirer personne avec moi dans cette chute. Il y a cinq ma vie à changée, ce n'était pas de sa faute mais il en a payé le...