Chapitre 14 - Le réveil

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20 Septembre 2022


         Ken restait introuvable. Cela faisait une semaine qu'il avait disparu et je vivais dans une angoisse permanente. Tout l'entourage avait essayé de le trouver, ses parents et sa sœur l'harcelaient d'appels et de messages. Théo et Mathilda s'était installé chez lui, pour être présent si jamais il rentrait. Au bout du troisième jour, les hôpitaux et les commissariats de police avaient été prévenus. Les gars avaient réussi à tenir à distance les possibles fuite à la presse. Mais d'après les agents de l'ordre, rien n'indiquait une disparition inquiétante ou une possibilité de suicide. Il avait pris un sac de voyage, un nombre important de vêtements ainsi que des produits de toilettes, ses papiers d'identité. L'appartement n'était pas particulièrement en désordres, il avait seulement pris sa voiture et était simplement partie. Je n'avais pas eu la force d'aller chez lui, ni même de le contacter. Et puis au fond, je me doutais bien qu'il avait dû éteindre son téléphone. Je le sentais pour la simple et bonne raison que c'est que j'avais fait. Cinq ans plus tôt, j'avais pris la fuite en emportant deux trois affaires, mon passeport et ma voiture. Cette première chose que j'avais alors fait, avant même d'allumer le contact de cette foutue voiture, j'avais éteint ce maudit téléphone, car j'avais su qu'à la première sonnerie, à la première apparition d'un prénom ou d'un visage, d'un sms ou d'un appel, j'aurais fait demi tour.

         Quelle horreur que de vivre dans cette angoisse. De savoir que quelqu'un, que l'on aime, à qui l'on tient et que l'on veut aider, décide sans aucune raison apparente de disparaître. Je comprenais enfin ce qu'il avait vécu. Être perdue entre amour et désespoir, ne pas savoir ce que de l'on doit faire ou penser, être face à ce néant de réponses et de solutions. Ce qui me rongeait le plus était cette envie d'être près de lui, de l'entendre, le toucher et le sentir, cette envie bien plus forte qu'elle ne l'avait jamais été. Ce besoin de savoir. Bizarrement j'avais l'impression que de le quitter avait été plus facile que de le perdre. Quand je m'étais enfuie, je savais où il était, où je le laissais, entouré de ses amis et de sa famille, dans cette ville qu'il aime tant. J'avais toujours été lucide sur ce qu'il devait avoir ressenti, mais je ne m'imaginais pas comme cette douleur était aussi atroce. Je comprenais enfin ce que c'était d'être celui qui ne sait rien, d'être celui qu'on lâche et oublie sans explications, d'être celui qui attend les réponses.

         J'étais partie le long des quais de Seine pour m'aérer. Un peu secrètement j'espérais le croiser ici. Peut-être qu'il viendrait s'asseoir près de moi, qu'on fumerait ensemble une clope. Les pieds dans le vide, les yeux fixés sur les étoiles, en silence, à écouter les mélodies de la ville accompagnées du clapotis de l'eau. Au bout d'une heure ou deux, il se serait levé et m'aurait tendue la main. Je l'aurais attrapée et après m'être laisser guidée par sa force pour me redresser , il aurait passé son bras autour de mes épaules. On serait rentré tranquillement, comme avant. Le soleil se levait, ses premiers rayons violets et oranges commençaient à percer le ciel et faisaient disparaître les étoiles présentes dans leurs faisceaux. Aucun bras chauds ne m'avait entouré, aucune respiration ne m'avait bercé. J'étais là, seule, à ne pas comprendre, à me sentir vide, à avoir mal.

         Je me levais douloureusement, avoir été assise immobile aussi longtemps me bloquait les articulations et le manque de sommeil me plongeais dans une sorte d'abrutissement. En rentrant chez moi je n'eue pas la force de me mouvoir jusqu'à la chambre et m'endormais dans le canapé, recroquevillé sur moi-même. Vers 9H00 du matin, le soleil éclatant me sortie doucement du sommeil. Par automatisme, je vérifiais mon téléphone pour savoir s'il y avait eu de potentiels nouvelles. Je le reposais dans un mouvement résigné, toujours rien. J'entrais dans la cuisine, pris une tasse dans un placard et enclencha la machine à café. J'attrapais mon paquet de cigarette, en pris une. Je ne n'étais bonne qu'à ça en ce moment, fumer et boire du café. Je récupérais mon briquet, m'apprêtais à l'allumer quand je perçue quelque chose d'étrange. Je tournais doucement la tête en direction du balcon, il était là.

         Ken était là, face à moi. Il se tenait droit appuyé contre le fer forgé. Il me fixait. Rien dans son regard n'évoquait de la colère ou de la surprise. Il était là, à m'attendre, sur mon balcon et mon dieu, qu'il était beau. Après des années, je le revoyais. Il avait changé autant par son physique que par son attitude. Il semblait plus sérieux, plus calme, plus conscient et confiant qu'avant. Ses yeux, eux, restaient les mêmes, son regard était resté intact, toujours aussi intense. Une lame incandescente qui vient vous percer l'âme et vous accroche. On pouvait littéralement lire dans ses pensées quand il captait votre regard comme ça et finir par s'y perdre. Que ce soit l'amour, la tristesse, l'incompréhension ou la peur, ses yeux m'avaient toujours donné la traduction. Là, face à ces sous-titres je restais tétanisé. Il était soulagé.

          Sans rien dire, on s'approcha mutuellement de l'autre. Une fois qu'on fut au même niveau, sans se lâcher des yeux, il prit mon visage en coupe. Ken ferma lentement les paupières puis après avoir orienté son visage vers le ciel, il se mit à pleurer. En silence. Mon regard se perdait sur son menton, sa gorge, son cou où les larmes qui perlaient, dessinaient le chemin qui guidait mes yeux. Une sorte de rivière hypnotique. Son parfum venait me chatouiller. Le soleil par la fenêtre nous enveloppait en une douce chaleur. Si on me demandait de décrire le paradis, je pense que je m'inspirerais de ce moment.

         J'ouvris la bouche pour commencer à parler, mais dès qu'il sentit mon geste, il rouvrit les yeux et me fit « non » de la tête. Avec une voix rauque en posant son front contre le mien il murmura :

« S'il te plait, je veux juste profiter là. On parlera plus tard, on aura tout le temps pour ça. »

Avant Tu Riais - NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant