-- CHAPITRE 4 --

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Colère ou comment préparer un bon café


1. Accompagnez votre café d'une friandise.

Aujourd'hui, un habitué du café m'a dit que j'étais « exquise », ce qui était extrêmement gênant. Et non, il ne s'appelait même pas Giuseppe. Colère dit que ce n'est pas normal de parler ainsi à un autre être humain que l'on doit respecter. J'en ai alors parlé à Sarah, la responsable, pour obtenir son avis sur la manière dont ce genre de situation est généralement géré. Elle a reconnu qu'il s'agissait simplement d'un compliment maladroit, qui plus est de la part d'un monsieur d'un autre temps ; que ça arrivait souvent, et qu'il fallait s'y habituer. Or, moi, je n'ai pas envie de m'y accoutumer, parce qu'il n'y a que deux types de personnes qui parlent ainsi : les vieux porcs et les cannibales. Avis au vieux cochon de la table numéro vingt-deux : je ne suis pas une friandise offerte avec l'espresso. Pourtant, quand c'est arrivé, je suis restée silencieuse. Je ne me suis pas retournée, mais je savais avec certitude que ses yeux dessinaient mon fessier avec avidité, et que sa langue fourchue claquait derrière ses dents.

Ça fait dix minutes que j'observe ce vieux monsieur. Il me jette des regards insistants de temps à autre. Manifestement, ça me fait me sentir exposée et en danger. Je suis un animal contraint de se donner en spectacle dans un zoo. Pourtant, c'est lui qui devrait se trouver dans un enclos. Sur ses grilles, il y aurait écrit « Ne nourrissez pas les vautours ».

Plus tard, il parle à une autre collègue en salle. Alors qu'il tourne autour d'elle comme un rapace, je le surveille, récrivant dans mon esprit le script de notre scène et de sa suite. Raison me propose un scénario des plus sages avec sa petite touche de second degré habituelle : prendre sur moi, accepter le compliment comme si c'était la plus belle chose que l'on m'avait dite aujourd'hui, rire comme une écervelée avec le client après avoir ajouté que la prochaine fois l'ourson en guimauve à droite de sa tasse, ça serait moi.


2. Préférez-le sans sucre ajouté.

Colère, à l'inverse, me suggère une réaction diamétralement opposée. Rire jaune n'est pas une solution pour elle. Cependant, Colère réclame une bonne pantalonnade, mais cette fois, nous serions les seules à rigoler. Peu importe, je ne suis qu'une bombe à retardement, et ce qui est fait ne peut être défait. Cela dit, je n'entends pas me soumettre aussi vite. Esprit aspire à voir le théorème des quatre étés se concrétiser, et Colère ne souhaite pas se mettre sur son chemin. D'ailleurs, moi non plus, je ne laisserai personne influencer la réalisation de cette prophétie. Après Maximilien, voilà un autre homme qui s'acharne à rester la pire version de lui-même. Ils ont beau être plus âgés que moi, je vais devoir corriger leur manque d'éducation. 

Vieux cochon interpelle ma collègue en levant le doigt. Elle feint d'abord l'ignorance, mais son insistance la pousse à s'approcher. À mesure qu'il lui parle, sa main dérive de manière inappropriée et se pose sur le bas de son dos. Troublée, ma collègue émet un rire nerveux et se retourne pour servir de nouveaux clients. Pareil à un ninja vengeur, je remonte mon foulard noir sur mon nez, rabats ma capuche, et vérifie que mes deux katanas sont bien accrochés dans mon dos. Enfin... je fais tout ça dans ma tête.

— Cléo, tu te rappelles ce que je t'ai dit à propos de tes chaussures à talons à la fin de ton entretien ?

Je ne quitte pas le vieux monsieur du regard, mais réponds à Sarah par un signe de tête.

— Je t'ai dit que je ne voulais plus les voir.

À nouveau, j'acquiesce sans lui porter réelle attention.

Martini-GrenadineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant