-- CHAPITRE 21 --

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Respect ou comment devenir flexitarien

1. Favoriser la qualité à la quantité.

— Non.

Le vieux cochon de la table vingt-deux me fixe, perplexe.

— Non ? répète-t-il, incrédule.

— Je refuse.

Ma voix est ferme, glaciale.

— Vous refusez ?

— Oui, je refuse votre pseudo-compliment.

À partir de maintenant, je n'accepterai plus jamais ce genre de remarque graveleuse, sans rien dire. « La patronne embauche des créatures plus exquises les unes que les autres. » m'a-t-il lancé aujourd'hui. Personne ne lui a demandé son avis. Encore moins de me le partager quand je lui sers son café.

— Pourtant, en général, vous aimez bien qu'on vous dise que vous êtes jolies, non ?

L'émotion négative, je vais l'extérioriser à coups de patates.

— Toutes les femmes ici travaillent pour vous servir votre foutu déca. Elles ne sont pas là pour personnifier vos fantasmes dégueulasses ou pour subir vos remarques sexistes, monsieur.

J'ai parlé un peu trop fort. Aussitôt, Sarah apparaît dans mon champ de vision. Affichant un air inquiet, elle me demande ce qui se passe. Alors, je lui explique clairement les choses, déterminée à ne plus me laisser faire. Peu importe si cela me coûte mon poste. À partir d'aujourd'hui, comme me l'a conseillé ma psy, j'applique la règle du non.

Nous ne sommes pas des objets. Accepter les remarques dégradantes ne doit en aucun cas devenir une habitude. Avant toute chose, il est crucial de ne pas les confondre avec « un compliment maladroit ». Le respect n'est pas un privilège accordé en fonction de notre apparence ou bien de ce qui se trouve probablement entre nos cuisses. Il doit demeurer un fondement universel pour tous, non négociable.

Je reprends mon souffle après ma longue tirade. Puis, je déglutis avant d'ajouter :

— Si, ma façon de penser et de remettre à sa place un individu qui a trois fois mon âge en lui rappelant les règles de savoir-vivre vous déplait, monsieur, alors je vous prie de vous lever et d'aller importuner quelqu'un d'autre ailleurs.

Un silence pesant s'installe. Le temps semble même s'arrêter. Désormais, je ne perçois que les battements de mon cœur et mon souffle saccadé.

2. Fixez-vous des objectifs et tenez-vous-en.

Prise au dépourvu, Sarah se gratte le crâne. Son regard balaye la salle, scrutant les réactions des clients. Elle s'humidifie les lèvres, mais reste muette. Je reconnais l'avoir mise dans l'embarras. Cela dit, en comparaison à toutes les fois où elle a subi ce genre de remarques sans broncher, ma petite scène, c'est du pipi de chat à côté. J'aurais pu lui jeter son café à la figure, me battre, briser le plateau sur sa tête. Au lieu de ça, je me suis exprimée clairement, avec des mots précis et sans équivoque. J'ai usé de raison, non de violence.

Je comprends son hésitation. Elle pèse le pour et le contre de sa future réplique. Sarah vient de fêter ses vingt-huit ans. Après ses études de commerce, elle n'a pas attendu pour reprendre une franchise de café avec son compagnon. Cette femme ne marche pas, elle court. Deux ans après l'ouverture du kiosque en plein cœur du plus grand centre commercial de la ville, elle a agrandi sa famille avec l'arrivée de la petite Lily. Entre ses nouvelles responsabilités de mère et son business à gérer, elle n'a jamais fait de choix. Pourquoi choisir quand on peut tout avoir ? Pourquoi se restreindre à accomplir qu'une seule chose lorsqu'on a l'envie et la capacité de réaliser plus ?

Martini-GrenadineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant