Waves

37 : 🎥

Frénétiquement, je place chacun des crackers les uns contre les autres, précisément entre une rangée de copeaux de parmesan et une rangée de tomates cerises fraîchement achetée. Pour ne pas les briser, je prend les crackers un à un et le replace délicatement contre son prédécesseur. C'est étrange que je parvienne à faire cela si calmement alors que je bouillonne de l'intérieur.
À l'autre bout de la pièce, appuyé sur l'ilot central de la cuisine, la main à plat sur le marbre blanc et un verre d'eau plate citronnée dans la main droite, Isaac m'observe. Je ne le vois pas mais je sens son regard taper contre ma nuque.
Il attend que je parle, il attend que je fasse le premier pas mais je ne le ferais pas, pas cette fois-ci. Je m'en fiche qu'il ne veuille pas parler non plus, le silence ne me dérange pas, tout comme lui d'ailleurs. Nous pouvons rester comme cela très très très longtemps.
Ou moins que prévu finalement, puisqu'Isaac souffle.

_ tu vas vraiment bouder comme une gamine pour une connerie pareille ?

Quel petit con arrogant il peut être quand il s'y met...
Je ne réponds rien, n'hoche même pas la tête, je lève seulement les yeux au ciel en attrapant un autre crackers.

_ à quoi ça sert de me faire venir chez toi avant les autres si c'est pour qu'on s'engueule et que tu refuses de me parler ?

Le crackers se brise entre mes doigts et je me retourne à la volée pour lui faire face.

_ tu sais ce que c'est ton problème ?
_ nous y voilà...
_ tu es je m'en foutiste, Isaac.
_ je suis quoi ? Il grimace.
_ je m'en foutiste. Tu te fous de tout. Rien n'est important.
_ ouais, bien sûr... il marmonne. Je n'en ai rien à foutre de rien. Tu n'en a pas marre de dire des conneries ?

Je repose violemment mon paquet de crackers salés sur le comptoir à côté de moi, si fort qu'ils vont tous être en miettes, et me rapproche de lui de deux pas, en le pointant du doigt.

_ tu prends tout à la légère, même ce qui est important, primordial, voire même vital et ça te perdra, Isaac.
_ tu entends ce que tu dis, un peu ?
_ et toi, alors ? Tu viens de dire que tu te fiches complètement d'avoir un avenir !
_ non, je viens de dire que mon entretien c'était super bien passé et que j'allais à coup sûr avoir le job.
_ c'est ça, que tu appelles "avenir" ? Un CDD dans une petite entreprise de travaux ? C'est ça que tu veux faire ? Couler des dalles de terrasse et poser des spots ?

Il ris jaune, sous mon nez.

_ et ça, c'est ton problème à toi. Si les gens ne font pas exactement ce que tu attends d'eux ou ce que tu veux, ils font de la merde.

Je secoue la tête et me retourne pour continuer de mettre en place mes crackers.

_ tu sais qu'il n'y a pas de sous métier ?
_ ne me parle pas comme si j'étais une conne, Isaac.
_ désolé de ne pas avoir postulé pour un poste aussi prestigieux que celui de chirurgien ou d'avocat. Il dit d'un ton théâtral.
_ ça n'a rien à voir..
_ visiblement si, puisqu'apparemment couler des dalles n'est pas un plan d'avenir. Tout ce qui peut me ramener de la thune est un plan d'avenir.

Je glousse encore, faussement, et balance l'emballage vide des crackers avant de prendre le plateau plein et quitter la cuisine. Isaac me suit dans le salon.

_ ok, alors prostitues toi, vends de la drogue ou assassine des gens pour commercialiser leurs organes, je suis persuadé que ça rapporte beaucoup d'argent. Super plan d'avenir.
_ ne me parle pas non plus comme si j'étais con, Erza.
_ je ne m'en fait pas, tu finiras par ouvrir les yeux et réaliser que tu fais une bêtise. Tu finis toujours par t'en apercevoir quand tu fais une connerie. Je continue en replaçant chacun des récipients et des plateaux sur la table basse du salon.
_ arrête de me parler comme si j'étais un putain de gamin bordel, Erza. Il grogne.
_ ton choix de simplement obtenir un CDD puis un autre par la suite et encore un autre et encore un autre... c'est du gaspillage. Tu as tellement de potentiel, Isaac, tu pourrais faire des tas de choses... et tu te contentes d'un job pénible sur un chantier.