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Deux semaines plus tard,

Corporation Edition

J'entre, stressée, au sein de la compagnie d'édition de Boston. Mon ordinateur dans une main, mon manuscrit dans l'autre, je sens qu'elles tremblent de plus en plus. Je déambule dans les couloirs, des pas résonnent sans cesse deux mètres derrière moi. Je suis sur les nerfs, j'ai très peu dormi alors la patience n'est pas ma qualité première aujourd'hui.

— Vous allez me suivre comme ça pendant longtemps encore ?

— C'est mon métier.

— C'est une corvée.

Je me retiens d'en dire plus face à l'impénétrable façade de Carter. Nos disputes sont toujours présentes et c'est usant. Lorsque je gagne enfin le bureau qui m'amène ici, je m'arrête, la jambe tremblante.

— Restez ici, j'ordonne à Carter en me tournant vers lui.

Il ne répond pas et se contente de détailler les lieux avec minutie. Partout où nous allons, il ne cesse de regarder par-dessus son épaule et d'observer les alentours. Je commence à me dire qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche chez cet énervant garde du corps. Il s'aligne au mur, à côté de la porte qui me fait si peur et croise dans un geste habituel ses mains à sa ceinture, le dos droit. Je souffle en roulant des épaules pour me donner du courage puis entre dans le bureau après y avoir été invité.

— Bonjour Iris, comment allez-vous ?

— Bonjour Elsa, j'ai aussi hâte que peur du verdict. J'ai apporté une version manuscrite au cas où...

— Ça ne sera pas nécessaire, me coupe-t-elle sans attendre, j'ai fait part de votre écrit à mes collègues. La réponse est sans appel.

Mon cœur palpite dans ma poitrine à un rythme frénétique qui n'est pas humain. Je suis toujours debout face à elle, comme si j'attendais mon jugement dernier. Le maigre espoir que je nourris depuis des mois est en train de s'envoler avec ma confiance. Je sens que ce début d'explication ne sonne pas comme une bonne nouvelle. Je le sais parce que je l'ai déjà vécu trop de fois au goût de mon égo.

— L'histoire en son fond profond n'est pas mauvaise, reprend-t-elle le menton levé, l'idée est bonne mais trop banale. C'est du vu et revu. Les lecteurs ont besoin de nouveauté, de se plonger dans des histoires où ils ne se doute pas du dénouement. Ils veulent du rebondissement, être étonnés et surpris. Ils veulent aimer et pleurer avec les protagonistes. Ce qui est tout l'inverse de l'esquisse de votre roman.

Aïe. La déception fait mal même lorsqu'on y est préparé. Elle tord notre ventre et nous sert la gorge sans pouvoir rien y faire. Elle se loge dans nos entrailles jusqu'à nous remettre en question. Et, c'est ce que je fais à la seconde où Elsa pose ses yeux sur moi pour me détruire de sa dernière phrase.

— Nous n'éditerons pas votre roman, une fois de plus Iris.

— Très bien. Je vous remercie. À bientôt Elsa.

— Je n'en doute pas.

Je garde la face devant l'éditrice mais au fond de moi, mes sentiments sont bien différents. Je lui demande pour partir par la porte de secours de son bureau, prétextant être garée à ce niveau. En réalité, j'essaie de fuir Carter. J'ai seulement envie de me retrouver seule après avoir essuyé autant d'échecs. Je bouillonne en faisant les cent pas sous le préau un peu plus loin. À chaque pas, une remise en question me frappe. Suis-je faite pour ce métier, pour écrire ? Dois-je finalement abandonner au lieu de me ridiculiser ? Est-ce que je vivrais un jour de ma passion ? Ou, est-ce que je vais devoir compter sur l'argent de mon père encore des années ? Hors de question. Peu importe les incertitudes, j'ai la conviction d'une chose dans cette vie misérable. Je n'ai pas envie de tout gagner par l'intermédiaire d'autrui. Je veux bâtir un empire, le mien. Celui dont je pourrai être fière d'avoir vu naître.

Private security T.1 [En Auto-édition avec BOD]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant