10 ans plus tôt
Face à mon gâteau, je souffle mes quatorze bougies, seule avec Haze, mon garde du corps depuis ma plus tendre enfance. Il a eu 30 ans cette année et a été obligé de les fêter avec nous, à cause de moi et de cette obligation de me protéger. Il passe à côté des premiers mois de sa fille parce que son métier ne lui permet pas de rentrer tous les soirs chez lui. J'ai rencontré sa femme, une fois, lorsque j'étais plus jeune encore. Elle est incroyablement belle et gentille. Et surtout, elle accepte les contraintes de Haze. Je me souviens comme ils se regardaient et se souriaient tout le temps, comme ci rien d'autre n'existait. Ça m'a marquée. Ça m'a passionnée. Ça m'a chamboulée. Et ça m'a aussi fait prendre conscience que mes parents ne vivaient pas la même idylle.
Depuis ce moment, je rêve chaque nuit d'avoir un jour la même complicité et la même passion avec un homme que celles de Haze et Émilie.
Mon père tient une entreprise de digitalisation. Il a confectionné une application avec son équipe. Elle permet de scanner un parfum et de découvrir toute la composition et les odeurs qu'il renferme, en instantané. Je n'en vois pas l'utilité mais il paraît que ça fonctionne bien et que c'est pour cela que j'ai un garde du corps. Son entreprise s'est développée au rang de l'international et maintenant des hommes d'influences en veulent à mon père de ne pas avoir fait affaire avec eux. C'est un monde de requins comme dit maman.
Ma mère, quant à elle, dessine et peint beaucoup, je crois que son rêve est de pouvoir un jour confectionner des robes mais elle garde tous ses carnets cachés dans un tiroir. Elle n'en a jamais parlé à personne, pas même à moi, après que je l'ai surprise en train de griffonner des pages, au beau milieu de la nuit.
J'ai supplié mon père de me laisser voir mes amis pour l'occasion mais il n'a pas voulu. Il dit que sortir est trop dangereux mais j'étouffe chez moi. Ma mère n'essaie plus de le contredire. Je crois qu'elle en a marre de se disputer avec. Alors à la place, il propose à Haze de m'emmener faire les magasins. Mon garde du corps a toujours été gentil avec moi. Il s'est occupé de moi quand j'étais petite. Il pourrait presque faire partie de la famille si sa présence ne me devenait pas aussi insupportable avec l'âge. Plus les années passent et plus je voue une haine grandissante envers lui. Alors, comme à chaque fois que l'ennui me gagne et que je suis frustrée par les perpétuels refus de mon père, je fuis Haze.
Je fais de lui mon souffre-douleur.
Aujourd'hui n'est pas coutume. J'accepte la proposition et me rends sagement au centre-ville de Boston accompagnée de mon garde. Je profite de faire les magasins mais mes idées ne sont pas claires. Je ne cesse de réfléchir ces derniers temps, d'imaginer comment serait ma vie sans quelqu'un toujours à mes côtés. Je me demande même si j'ai encore des souvenirs de mes parents pour seuls surveillants. Je ne me rappelle pas d'un souvenir sans qu'il n'y ait Haze en arrière-plan, dans un coin de la maison.
Je me rends en quelques secondes dans le rayon culturel. La librairie. Je pourrais passer des heures entières à sélectionner les livres que je souhaite mais ma bibliothèque ne serait pas assez grande pour tous les accueillir, pas encore. Mais plus tard, j'aurai une énorme bibliothèque dans mon salon et elle sera pleine à craquer. Je m'en fais la promesse.
Après plus d'une heure dans le même rayon à passer et repasser devant les mêmes étrangères, j'hésite encore entre fantastique, romance, dystopie et classique.
J'hésite entre une histoire d'amour saine et celle où l'un des protagonistes est torturé par ses démons.
J'hésite entre le simple et le compliqué.
J'hésite entre le calme et l'action.
Haze ne bouge pas d'un centimètre, il a l'habitude de cette situation. Tous les ans, il m'accompagne ici et m'offre un livre, puisque mon père ne prend pas au sérieux ma passion.
« Ce ne sont pas tes livres qui te permettront de garder les pieds sur terre, Iris » s'évertue-t-il à me baratiner.
Finalement, j'opte pour une romance tumultueuse. Une femme triste, un homme torturé, ne pouvant s'aimer.
Une histoire de « la bonne personne au mauvais moment ».
Je sers contre moi mon livre et décide de passer à la caisse en regardant Haze tendre son billet de vingt dollars annuel. Je le remercie et il m'ébouriffe les cheveux. Je déteste quand il fait ça et il le sait. Je m'énerve mais il rigole.
— Une glace avant de rentrer ?
— Au glacier de d'habitude ?
Il hoche la tête et je le suis sans broncher, pour l'instant. Je ne veux pas rater ma glace. Le glacier est sur le chemin de la maison, c'est pour ça que nous nous y arrêtons pour commander à chaque sortie. Le vendeur me tend mon cornet à la saveur chocolat pendant que Haze prend une glace à la vanille. Comme d'habitude.
La routine, toujours la routine. Comme hier, comme aujourd'hui et comme demain. En boucle. Tous les ans, mes journées se ressemblent.
Je me lève, je vais au collège, Haze me dépose et vient me rechercher. J'étudie et je m'endors sur mon livre. Pendant les vacances, on fait une balade au parc, on va à la librairie et on s'arrête manger une glace avant de rentrer.
Je n'en peux plus. J'ai besoin de vivre plus d'action. De vivre dans mes livres.
Ce sont eux qui me sauvent de ce quotidien.
Nous nous levons pour rentrer chez moi. Haze récupère mon papier pour le jeter et salue un homme de l'autre côté du trottoir, échangeant quelques banalités avec lui. Je profite du fait qu'il soit retourné et de cette distraction pour courir. Je n'ai pas envie de retrouver ma maison et Haze est nul à cache-cache. Autant en profiter pour s'amuser.
— Iris ! hurle-t-il alors que je tourne déjà au coin de la rue.
Je l'entend fouler les pavés de Boston à ma poursuite mais je suis rapide aussi. Bon, pas autant que lui mais je peux garder mon avance et me faufiler partout. Je tourne à plusieurs coins de rue pour le semer et décide de me jeter à l'intérieur d'un magasin de vêtements. Je me cache derrière un mannequin et le regarde passer en courant devant la boutique, téléphone à l'oreille, sans s'arrêter. J'éclate de rire et me réfugie dans un coin du lieu pour m'asseoir par terre et commencer à lire mon livre.
Mon téléphone ne cesse de sonner, c'est d'abord Haze, puis ma mère. Je ne réponds à aucun appel et profite de ce temps de répit que je m'offre.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Finalement, au bout d'une heure, je téléphone à Haze qui est plus qu'énervé contre moi. Il revient me chercher et ne m'adresse pas un mot sur le chemin du retour. Je sais que je viens de le décevoir. J'ai trahi sa confiance. Mais je n'ai aucun regret. Je sais que mes parents vont me punir pour ça. Mais je recommencerai.
Pour ma liberté.
Alors je me suis promis de le refaire encore et encore jusqu'à le faire fuir.
Et une fois chose faite, je réitérerai cela pour tous ses successeurs, jusqu'à pouvoir vivre sans eux, quitte à passer pour la méchante.
Pour ne plus jamais avoir de gardes du corps.
Parce que je les déteste.
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Private security T.1 [En Auto-édition avec BOD]
Teen FictionSergent Oliver Carter, vétéran de la guerre en Afghanistan est entré dans la sécurité privée. Après un traumatisme qu'il tente d'enfouir, il accepte une nouvelle mission : être le garde du corps privé de Iris Withers. Iris doit faire face depuis son...