Chapitre 30

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Nous fûmes les premiers à arriver. Je pressai le pas en direction de la salle de bain. Je voulais au plus vite me réchauffer et me débarrasser de l'odeur du chlore. Le temps que je finisse ma douche et enfile des vêtements empruntés à Uriel, mes parents et Joy étaient enfin là ; ils discutaient tous chaleureusement dans le salon. Je trainais des pieds jusqu'à eux, éreinté.

L'ambiance avait beau être plus ou moins festive, ma fatigue l'emporta. Et habitués à cet état, ils n'étaient pas surpris de me voir bailler toutes les cinq minutes. Cette petite célébration durerait le temps du dîner et ils me laisseraient m'éclipser pour aller dormir. Ils continueraient à discuter entre eux, de tout et de rien, de sujets qui pourraient m'intéresser, de commérages ; je rêverais déjà bien trop profondément pour m'en préoccuper.

Après avoir passé plusieurs heures avec eux, à parler, rire, manger et m'assoupir sans crier gare n'importe où je posais les fesses, je laissais enfin mon corps tomber sur les draps frais. Je m'emmitouflai sous la couette, enveloppé dans le parfum d'Uriel, et il ne m'en fallut pas plus pour m'endormir dans la seconde.

J'ignorais combien de temps était passé avant qu'un rai de lumière n'éclaire brièvement la chambre. Un poids vint peser sur mon dos et me sortit doucement de mon sommeil. Je grommelai des choses inintelligibles en guise de complainte qui fit rire la personne allongée sur moi. Ses lèvres se posèrent sur ma tempe alors qu'il glissait sur mon flanc. J'entrouvris faiblement un œil pour voir, sans surprise, Uriel m'observer tendrement.

— Qu'est-ce que tu fais là ? marmonnai-je d'une voix rauque, les paupières closes.
— Je suis venu te voir.
— Hm, acquiesçai-je.

Ses doigts dégagèrent des mèches de mon front avant de caresser ma joue. Sa présence me fut de plus en plus difficile à ignorer et je ne parvins pas à me rendormir, me contentant de le fixer.

— Tout le monde est allé se coucher ?
— Non, ils rient encore dans le salon.
— Même Joy ? m'étonnai-je.
— Elle préfère dormir dans les bras de maman, pouffa-t-il.
— Et toi, tu es venu te coucher ?
— Pas vraiment... Je voulais juste être avec toi, sourit-il.

Je lui répondis par un faible sourire, encore ensommeillé.

— Je t'ai réveillé ?
— Tu poses vraiment la question ? ris-je doucement.
Lo siento, chuchota-t-il.

Il déposa un baiser sur mon front avant de reposer sa tête près de la mienne. Du moins aussi près que mon coude le lui permit... Je sortis ma main de sous l'oreiller pour la glisser dans ses cheveux et le rapprocher davantage.

— Tu ne veux pas juste... être mon copain ? soupirai-je, las.

Il se contenta de rire doucement, retirant sa main de ma joue pour enlever la mienne de ses cheveux et en embrasser la paume.

— ... Tu m'aimes ? murmurai-je.
— Je t'aime.

Je restai un moment stupéfait de l'honnêteté dont il fit preuve ; il n'avait pas hésité une seule seconde pour me répondre, me l'avouer, alors même qu'il ne s'était encore jamais confessé.

— Je t'aime, Gavyn, répéta-t-il dans un souffle, frottant son nez contre le mien.

Je me tournai pour m'allonger sur mon flanc. Uriel prit mes deux mains et colla mes phalanges à ses lèvres.

— Alors pourquoi ? sanglotai-je presque.
— J'ai... peur, Gavyn, confessa-t-il d'une voix tremblante.
— De quoi ?

...

— Uriel ? m'enquis-je.
— J'ai peur de te perdre.
— Mais pourquoi tu me perdrais ?

Il haussa les épaules.

— Je n'en sais rien... Mais mes relations n'ont jamais fonctionné. Et si ça ne marchait pas avec toi non plus ?
— ... Et si ça marchait ?
— Mais si ça n'était pas le cas ? Si tu te lassais ? Ou que tes sentiments changeaient ? Ou que je n'étais pas assez bien pour toi ?
— Et si tu te posais moins de questions ?... souris-je, un peu tristement.

J'eus beau tenter de le rassurer, je comprenais parfaitement où il voulait en venir car j'avais les mêmes doutes le concernant. Et maintenant qu'ils avaient été dits à voix haute et qu'ils résonnaient en boucle dans ma tête, je n'étais plus si sûr de vouloir que cette relation se concrétise. L'avenir était après tout si incertain...

— Si ça venait à arriver, tu crois qu'on pourrait redevenir amis ? Et même si on le redevenait, notre relation ne serait plus jamais pareille. Rien que d'imaginer que tu ais tourné la page ou que tu ais des sentiments pour quelqu'un d'autre me rend fou, Gav.
— Tu arrives à imaginer si loin mais pas un futur plus proche à mes côtés, fis-je remarquer amèrement.
Yo se, lo siento. Mais ces doutes me terrifient, querido.

Il embrassa mes phalanges pour la énième fois.

— Qu'est-ce que ça aurait été si je t'avais demandé en mariage... soupirai-je en secouant la tête.

Je sentis sa bouche rire contre mes doigts.

— Gav ? susurra-t-il après quelques minutes en silence.
— Hm ? fis-je, à moitié endormi.

La fatigue commençait repointer le bout de son nez, et j'étais prêt à lui céder, mais ce qu'il me dit par la suite eut don de me réveiller pour de bon :

— J'ai envie de t'embrasser.

Il me fallut un temps pour assimiler qu'il venait bien de dire ce que j'avais entendu, et qu'il ne s'agissait pas d'une mésentente ou d'un désir inassouvi de ma part.

— Quoi ?
— Si je t'embrasse... Repousse-moi.

Je roulai des yeux devant sa requête.

— Non, toi, repousse-moi.

Je saisis Uriel par le col de son sweat et le tirai vers moi. Nos bouches s'entrechoquèrent et je le sentis soupirer d'aise. Je ne pus retenir un sourire face à sa réaction. Je me mis en appui sur mon coude et le surplombai, laissant ses mains s'accrocher à ma taille. Comme pour la première fois, nos lèvres n'eurent aucun mal à se mouvoir les unes contre les autres. Sans même penser que l'on pourrait nous surprendre, nous nous embrassions les cœurs battants, en symbiose.

Uriel m'aimait.

Bien que je l'eusse remarqué. Ce soir, il me l'avait avoué, sans hésiter.

Ma main libre saisit son menton alors que j'éloignais mon visage.

— Sors avec moi.
— Gavyn...

Je plantai un bisou sur ses lèvres.

— Sors avec moi, Uriel.

Il se mordit la lèvre, et je sus d'avance qu'il n'accepterait pas, pas ce soir. Je poussai un râle, me laissant tomber sur sa poitrine.

— Donne-moi juste un peu de temps.
— Évidemment... soupirai-je.
— Je te promets que tu seras le premier à savoir dès que je serais prêt.
— ... Et je ne peux rien faire pour t'aider à être prêt ?

Ses doigts soulevèrent mon menton. Il me sourit tendrement, et déposa ses lèvres sur mon front puis mon nez, me tirant un rire, avant de franchement les poser sur ma bouche.

— Reste près de moi.

Anyone Except UOù les histoires vivent. Découvrez maintenant