Chapitre 6

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Ma tête sous l'eau, je restai en apnée au fond de la piscine. J'aimais cette sensation de me laisser couler. Plus mon cœur me semblait lourd, plus je m'enfonçais dans le bleu de cette eau chlorée. Et, aujourd'hui, il me paraissait peser des tonnes. Alors je me laissais toucher le fond, bercé par les ondulations discrètes autour de moi. Je m'enfermais dans ce cocon aqueux. Je fuyais mes angoisses dans un milieu où la gravité semblait avoir moins d'impact. Jusqu'à ce que l'air me manque et ne me fasse retourner à la surface.

Alors que j'émergeais, je m'appuyai sur le bord et observai le peu de personnes pataugeant à quelques mètres. L'hiver avait tout juste commencé ; les températures s'étaient rapidement rafraîchies, ne laissant dans les piscines que quelques habitués. J'aimais cette tranquillité, cette liberté de pouvoir nager distraitement où bon me semblait sans avoir peur de buter dans le premier môme surexcité.

Je n'aurais su dire combien d'heures avaient filé avant que je ne me décide à sortir. Comme presque tous les jours depuis le début des vacances, j'avais passé mon après-midi à nager, jusqu'à la fermeture. Plus que de m'occuper l'esprit, je cherchais surtout à fuir Uriel dès que je le pouvais.

Les jours s'enchaînaient. Et il m'était de plus en plus difficile de lui faire face à mesure que sa relation progressait. Il m'avait été plus simple de l'imaginer faire autre chose que de flirter avec elle quand je ne les avais pas sous les yeux. Quand il me laissait rentrer seul parce qu'il devait la retrouver quelque part. Quand il changeait nos habitudes pour passer du temps avec elle, loin de moi. Je ne le savais pas encore à ce moment pourtant c'était ce qu'il aurait pu faire de mieux. Mais ma jalousie m'avait empêché de voir à quel point l'ignorance pouvait m'être salvatrice. Aujourd'hui, il était trop tard.

Uriel, qui me connaissait presque par cœur, avait rapidement remarqué que quelque chose me tracassait, et, bien qu'il n'ait pas tout saisi, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour faire le lien entre mon humeur sombre et le fait qu'on se voyait de moins en moins. Il avait dès lors eu la très "bonne" idée de m'inclure dans la majorité de leurs plans, et, bien entendu, elle m'avait accepté de bon cœur.

J'aurais évidemment préféré qu'elle grince des dents, qu'elle montre quelques réticences qui m'auraient aidé à ne plus devoir tenir la chandelle pendant qu'ils s'entichaient l'un de l'autre, entre caresses et baisers tendres. J'aurais aimé qu'elle ait quelques défauts évidents qui, si ne parvenaient pas à repousser Uriel, m'auraient donné une excuse pour la détester. Mais l'envie d'être à sa place était l'unique raison qui faisait naître en moi ce sentiment amer. Toujours souriante et chaleureuse. Amicale. Aimante. Et surtout, infiniment belle. Plus je la voyais et plus son charme me sautait aux yeux.

Je n'avais pas ma place entre ces deux-là. Je n'avais peut-être même plus ma place près d'Uriel. Du moins, plus celle que j'occupais depuis des années. Aujourd'hui, mon rôle avait changé. Ce n'était pas la première fois mais, contrairement à avant, mes sentiments pour lui étaient maintenant bels et bien réels. Loin des prémices du début. Loin des doutes. J'en avais à présent pleinement conscience et vivais avec chaque jour que Dieu faisait.

Son bonheur était devenu un crève-cœur et je m'en voulais.

Je m'en voulais de ne pas pouvoir le soutenir comme il l'aurait fait avec moi. De n'être en mesure de leur sourire honnêtement. De me réjouir de leur romance. Je m'en voulais de ne pas être l'ami qu'il méritait d'avoir.

Sorti des douches, je frictionnais brièvement mes cheveux de ma serviette avant de m'habiller en vitesse et de quitter le bâtiment. Maintenant que j'étais hors de l'eau, la faim creusait douloureusement mon estomac. La nuit était tombée, et le vent frais frigorifiait ma tête humide malgré la capuche qui la recouvrait. Je regrettais de ne pas avoir pris plus de temps pour sécher mes cheveux, ou d'avoir laissé mon bonnet dans ma chambre. Et à cet instant précis, je n'eus d'autre choix que d'attendre mon bus à l'arrêt et de prendre mon mal en patience.

SAD! de XXXTENTACION tournait en boucle dans mes oreilles alors que je dansais sur place pour me réchauffer. Les paroles n'étaient pas bien joyeuses mais le rythme était assez entraînant pour m'éviter de me morfondre. Alors je l'écoutais, encore et encore. Et lorsque mon bus arriva enfin, je l'écoutais toujours. Je m'accrochais à cette mélodie comme la seule bouée capable de me retenir, de me sauver d'une noyade de chagrin. Assis au fond du véhicule, je marquais le son en tapant des doigts sur ma cuisse, et observais distraitement la ville filée à travers la vitre. Je savais que ce moment de paix ne durerait pas.

Je n'étais pas dans le bus depuis bien longtemps quand je sentis mon portable vibrer dans ma poche de blouson, et entendis la musique s'interrompre soudainement. Je soupirai profondément, les paupières closes, avant de répondre. Je savais qui m'appelait sans avoir à regarder l'écran ; j'avais évité ses messages toute la journée, laissant intentionnellement mon portable dans mon casier sans y jeter un coup d'œil ne serait-ce qu'une minute.

— Allô ? Allô, Gav ?
— Salut, Uriel...
— Tout va bien ?

Je me mordis la lèvre, tentant de ravaler mes larmes.

— Ouais. Pourquoi ça n'irait pas ?
— Peut-être parce que je n'ai eu aucune nouvelle de toi de la journée, tontucio!
— Désolé... J'étais à la piscine.

Il y eut un silence, lourd de non-dits. Être à la piscine ne m'avait jamais empêché d'être en contact avec lui. J'avais toujours prévenu tout le monde autour de moi qu'ils obtiendraient peu de réponses quand je me trouvais là-bas mais Uriel était resté l'exception à la règle, encore une fois. Je prenais soin de lui répondre dès que je le pouvais. Du moins, avant que je ne mette tout en œuvre pour l'éviter le plus possible. Après tout, je ne voulais pas définitivement couper les ponts avec lui, juste du temps, celui nécessaire pour que mes sentiments s'éteignent. Uriel n'était pas bête, il avait dû voir que je l'évitais, que j'étais à la limite de le fuir mais il n'avait jamais relevé.

Que savait-il d'autre en réalité ? Ne faisait-il pas semblant de ne rien savoir au final ? Et si c'était ce que j'espérais, pourquoi penser qu'il feignait l'ignorance me fit aussi mal...

— Gav ? Gav !

Je repris mes esprits puis soufflai tristement.

— Oui ?
— Tu rentres bientôt ?

Je fronçai les sourcils.

— Pourquoi ? répondis-je, suspicieux.
— Parce que j'ai faim et qu'on n'attend plus que toi ! rit-il.
— Tu es chez moi ? m'étonnai-je.
— Ma mère travaille de nuit et je ne me sentais pas de rester seul chez moi ce soir.

Je me retins de lui dire que sa presque copine aurait pu lui tenir compagnie et serrai les dents.

— Et puis chez moi, c'est chez toi, et chez toi, c'est chez moi... non ?

Il ne le dit pas directement mais je pus sentir la question qu'il me posait implicitement.

— Oui... Oui, bien sûr.
— Tu es là dans combien de temps ?

Je pouvais littéralement entendre le sourire dans sa voix ; ma mine sombre s'égaya doucement.

— Dans quelques minutes, je dois encore prendre le métro.
— Le métro ? Où tu es encore parti te perdre, Ariel ? railla-t-il.

Je roulai des yeux, souriant franchement.

— À tout !

Jeraccrochai alors qu'il riait encore à gorge déployée à l'autre bout du fil. Etce fut le cœur léger que je m'empressai de rejoindre la station de métro.Impatient de rejoindre mon chez moi, tous ceux qui m'étaient chers, etle garçon que j'aimais.

Anyone Except UOù les histoires vivent. Découvrez maintenant