La première fois que tu m'as serré dans tes bras

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Lundi 5 février 2007 – 16h43

Je quitte précipitamment la salle de musique en marmonnant un vague « au-revoir » à la prof qui me souhaite une bonne fin de journée, et dévale les escaliers pour rejoindre le hall. Tout en me dirigeant vers la grande porte, je jette un œil à ma montre. 16h43.

- Putain, merde.

Madame Benedetto ne pouvait pas choisir un autre moment pour me parler du concert de printemps, non ? Le bus qui fait le trajet jusqu'à San Stefano part dans 7 minutes... soit à peu près le temps qu'il me faut pour rejoindre l'arrêt. Je n'ai vraiment, mais vraiment pas, envie de rentrer à pied ni d'attendre deux plombes que quelqu'un puisse venir me chercher – surtout par ce temps-là ! Le vent glacé qui souffle sans discontinuer depuis ce matin me cueille à peine la porte franchie, ébouriffant un peu plus mes cheveux indisciplinés. Mon corps en entier frissonne. Bordel. Je rentre la tête dans les épaules et enfonce mes mains au fond des poches de mon blouson tout en accélérant le pas sur la via Elio Bernabei.

En plus, le lundi, Luca termine les cours à 14h et file directement à l'entrainement – je vais me fader les 20 minutes de route tout seul, à moins que Cipriano ou Alessia soient encore à Montepulciano – mais depuis qu'il a eu son scooter à Noël, ils ne prennent presque plus le bus. Pas grave, je suis crevé de toute façon – il n'est pas impossible que je m'endorme... si je ne le loupe pas ! Pour m'éviter ce calvaire, je décide de piquer un petit sprint, mon Eastpak sous le bras – ce qui n'est pas une si mauvaise idée puisque le chauffeur vient d'enclencher la fermeture des portes à l'instant même où je me présente au pied du véhicule. Il hoche le menton d'un air grincheux tout en me fusillant du regard, puis rappuie sur le bouton pour que je puisse monter.

- Il faut arriver à l'heure, hein ! La prochaine fois...

Sans attendre qu'il ait terminé, je présente ma carte et lâche :

- Oui... désolé.

Inutile de préciser que je ne le suis pas, en fait. Roberto – ainsi que l'indique son badge – est juste un spécimen ce qu'il y a de plus courant chez les conducteurs de bus : un pur dictateur qui pense pouvoir décider des horaires comme ça l'arrange. Mais en vrai, il est pile 16h50 - et je ne suis pas en retard. Bref.

Je commence à remonter l'allée centrale en essayant de repérer des sièges libres – le bus est loin d'être complet, cela ne devrait pas poser de problème. A cette heure-là, la plupart des voyageurs sont des collégiens ou des lycéens. D'habitude, ils sont tous penchés sur leur Nokia ou écoutent de la musique, les écouteurs de leur mp3 suspendus à leurs oreilles, et les conversations s'apparentent à un faible bourdonnement. Mais aujourd'hui, ça discute dans tous les coins avec animation. Un seul sujet est sur toutes les lèvres : ce qui s'est passé samedi soir en Sicile - les émeutes entre supporters du match Calcio Catane - US Palerme, et la mort d'un policier, sans compter les dizaines de blessés. Toutes les rencontres sont annulées jusqu'à nouvel ordre – autant dire que certains ne sont pas contents. Mon père y compris. La fédération italienne de foot est mise en cause parce qu'apparemment, de nombreux stades ne sont pas aux normes. Pour être honnête, je m'en fous un peu – j'aime bien le foot mais... de loin. Je préfère le rugby. Avec Luca, Valentina et Celio, on a regardé le match des 6 nations contre la France samedi. Comme il fallait s'y attendre, les italiens se sont fait euh... quel est le terme approprié ? exploser ? laminer ? écraser, pour être clair : avec un score de 3 à 39, il est temps d'inventer un mot spécial pour les défaites de l'Italie dans ce tournoi. Bon, en même temps, c'est pas un drame national et ça ne nous a pas empêchés de nous marrer pendant le reste de l'après-midi en jouant à la PS3 chez Celio et en dévalisant les placards de tout ce qu'on a pu trouver à manger.

Le prime volte (Les premières fois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant