Epilogue

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Jeudi 8 décembre 2016 – 8h02

Je sors lentement des brumes du sommeil, mais n'ouvre pas les yeux, pour profiter pleinement de ces quelques minutes éphémères dont je ne me lasse pas. Une parenthèse dans la course du temps, une bulle suspendue entre la vie et l'infini, durant laquelle j'ai l'impression que le monde m'appartient. Emmitouflé sous la couette imprégnée de l'odeur de Luca, je plonge le nez dans le tissu moelleux et prends une longue inspiration pour mon premier shoot de bonheur de la journée : mes bronchioles crépitent, mes synapses implosent et de multiples explosions dévastent ce qui me restait de lucidité. Une vague d'euphorie liquide se répand instantanément dans mes veines. Putain de merde. Cette odeur-là a toute sa place dans la catégorie des drogues dures, si vous voulez mon avis. Je suis irrémédiablement accro. Un junkie irrécupérable... et content de son sort, en plus. Un sourire niais s'accroche à mes lèvres à cette pensée, et je retiens un soupir dépité en imaginant à quel point je dois avoir l'air d'un parfait crétin.

Un parfait crétin certes, mais un crétin heureux – je tiens à le préciser.

Son souffle tiède et régulier survole ma nuque comme une caresse. Son bras passé autour de moi et sa main abandonnée à plat sur mon ventre me maintiennent contre lui. La chaleur de son corps se diffuse dans mon dos, dans mes fesses pressées contre son bassin, dans nos jambes emmêlées. Nous sommes si collés l'un à l'autre, de haut en bas, que je ne sais plus ce qui lui appartient et ce qui est à moi. Une sensation voluptueuse fleurit dans mon cœur, à l'idée que ce sera ainsi chaque jour de notre vie – encore quelques semaines à patienter - et je fais glisser mes doigts entre les siens.

- Je sais que tu es réveillé, murmuré-je en levant enfin les paupières sur la faible clarté bleutée de ce matin d'hiver.

Mon regard tombe sur les murs de pierres ocres traversés de poutres de chêne brun, auxquels sont accrochées cinq ou six photos encadrées de la Toscane et de la Drôme. Je reconnais deux clichés que Luca a pris au tout début de l'automne, le jour où il a enfin eu les clés – le terrain situé à l'ouest avec le chemin qui serpente à flanc de colline vers le ruisseau, et la façade de la maison devant laquelle s'élève le vieux puits blotti à l'ombre de l'olivier bicentenaire. Sur les autres, le val d'Orcia, Montepulciano et Mirmande. Elles n'y étaient pas la dernière fois que je suis venu, il y a 3 semaines. De format plus ou moins grand, elles apportent une touche de modernité au cocon douillet et rustique de la chambre – l'ensemble me plait beaucoup... comme tous les aménagements que Luca a réalisés depuis deux mois, du reste. En seulement quelques semaines, il a réussi à faire de cet endroit un refuge qui nous ressemble et dans lequel je me sens bien, je nous sens « nous ». Je laisse mes yeux s'égarer un moment sur les collines ponctuées de cyprès qui s'étendent à perte de vue, sur les toits de tuiles rosées enchevêtrés qui semblent se disputer la première place d'un podium vers le sommet du village.

Mirmande et Montepulciano : c'est vrai que ces paysages se ressemblent. Je ne suis pas vraiment dépaysé ici. De toutes façons, mon paysage, c'est Luca. Où que nous nous trouvions, je ne suis jamais dépaysé. Je souris, tandis qu'il fait glisser ses lèvres sur mon épaule, à la naissance de ma nuque, provoquant une avalanche de frissons le long de mon échine.

- Comment tu fais ?

Sa voix encore engourdie par le sommeil vibre contre ma peau. Je roule sur moi-même pour lui faire face et hausse une épaule.

- Je ne sais pas... Je le sens, c'est tout.

Je passe une jambe par-dessus sa hanche. Il y étend une main possessive et exerce une pression douce pour me rapprocher de lui. Nous nous sourions en nous dévisageant mutuellement, comme si nous avions tous les deux du mal à croire que ce que nous vivons à cet instant est bien réel... Nos matins ensemble ont décidément un goût de trop peu.

Le prime volte (Les premières fois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant