La première fois que tu m'as dit "Je t'aime" - Partie 1

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Mercredi 19 octobre 2011 – 20h17

- Au fait, Luca joue à Sienne samedi. J'ai prévu d'y aller.

Mon père repose la fourchette qu'il s'apprêtait à engloutir sur le bord de son assiette et coule un regard rapide vers ma mère avant de le braquer sur moi, les traits figés.

Je fronce les sourcils, perplexe, en essayant d'identifier l'origine de la tension de dingue qui règne soudain dans la cuisine. Je tourne légèrement la tête vers ma mère : elle aussi a suspendu ses gestes et m'observe, un pli soucieux barrant son front.

Je reconnais cet air-là – et franchement, ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs : depuis quelques semaines en effet, mes parents semblent avoir développé un intérêt soudain pour la moindre de mes activités et me questionnent en permanence sur ce que je fais, où je vais, qui je vois... Mes sorties, les répétitions avec Cinderella's Ghosts – le groupe dans lequel je suis guitariste -, le lycée, les soirées chez Cipriano ou Celio... rien n'y échappe. A cela se sont ajoutés des reproches à peine voilés de plus en plus fréquents sur mon manque de participation dans le fonctionnement du domaine, ou pour les tâches du quotidien. Et même si Nonna intervient régulièrement pour tempérer les propos souvent sévères de mon père, j'ai décidé de coopérer : je tiens trop à la liberté qu'ils m'ont toujours accordée jusqu'ici et n'envisage pas une seconde de renoncer à quoi que ce soit – ni la musique, ni mes potes... rien. Aussi, dès la rentrée scolaire, j'ai fait en sorte d'obtenir des résultats plus que corrects : tous mes profs s'accordent à penser que je n'aurai aucun problème à intégrer le cursus de management que j'ai choisi. Depuis la fin de l'été également, je bosse un week-end sur deux à l'oliveraie – la récolte a commencé cette semaine et la cadence s'est nettement accélérée - et j'accompagne ma mère au marché tous les samedis matin. Bref, j'ai vraiment l'impression de remplir ma part du contrat, comme n'importe quel ado de 17 ans. Il faut croire que cela n'est pas suffisant.

Je tâche de maîtriser mon agacement et demande sur le ton le plus posé possible :

- Ça pose un problème ? Ce n'est pas mon week-end et je n'ai prévu de partir qu'une fois le marché terminé. Je prendrai le train de 13h pour rentrer dimanche : j'aurai largement le temps de terminer mes devoirs.

Mâchoire crispée, mon père ne cille pas. Je commence à me demander s'il a seulement entendu ce que j'ai dit.

- Tu y vas seul ?

Je tourne vivement la tête vers ma mère, surpris. Elle a formulé sa question sur un ton pressant, qui ne lui ressemble pas. Et puis surtout : c'est quoi cette question ?

- Euh... ouais... Oui, j'y vais seul. Pourquoi ?

- Où vas-tu dormir ?

Cette fois, je plisse les yeux, sans pouvoir retenir un rictus contrarié et incrédule : où est la caméra ? Ai-je été tiré au sort pour être le héros d'un sketch à la con qui passera sur Rete 4 vendredi soir ? Mais l'air extrêmement sérieux qu'elle affiche me prouve que tout ça n'est pas une blague. Je tourne les yeux vers mon père, qui continue de me fixer d'un regard noir. Une bouffée de colère m'envahit lorsque l'évidence s'impose à moi : ma mère ne se contente que d'être un porte-parole, en fait. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il est à l'origine de cet interrogatoire à deux balles. Je souffle du nez pour marquer mon agacement avant de répondre :

- Ben chez Luca. Où veux-tu que je dorme ?

- Pas chez Luca.

C'est mon père qui est intervenu cette fois : il a enfin daigné prendre son courage à deux mains. Je laisse échapper un ricanement narquois :

Le prime volte (Les premières fois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant