Chapitre 2

18 2 0
                                    

Billie

Qui dit nouvelle maison sous-entend nouvelle école. Je ne compte plus le nombre d'établissements que j'ai fréquentés au cours des années. J'ai l'habitude de me fondre dans la masse. Je suis plutôt de nature enjouée, je crée facilement des liens avec les autres humains, mais en ce qui concerne mon nouveau « frangin », je ne suis pas convaincue qu'il en fasse vraiment partie. Si je suis facile à vivre, c'est loin d'être son cas. Quand j'ai rencontré Swan dans notre ancien lycée, il n'avait pas d'amis, même pas une connaissance avec qui il semblait plus proche. Aucun contact, autre que celui des railleries au détour d'un couloir. Je me suis vite rendu compte que la plupart des lycéens le craignaient, ce qui expliquait stupidement leur défiance et leurs moqueries. En général, ce qu'on ne comprend pas fait peur, ce qui intimide génère de la violence. Cependant, Swan paraît n'y avoir jamais attaché la moindre importance. Les vexations coulent sur lui comme de l'eau. Quelque part, je suis admirative de son flegme – mais je préférerais mourir que de le lui avouer –, même si je ne comprends pas pour quelle raison il se comporte de cette façon détachée, presque méprisante à l'égard des autres.

D'ordinaire, j'entre dans un nouveau bahut en plein milieu de l'année ; je suis toujours la nouvelle. Pas cette fois. Je me soumets au vieux rituel de rentrée scolaire, parmi la foule d'étudiants qui se pressent aux portes du lycée. Ma mère nous a déposés, Swan et moi, sur le parking, nous a souhaité une bonne journée, pour mieux nous livrer en pâture à ce qu'elle a toujours communément appelé « la religion gouvernementale », autrement dit : l'école. Ma mère n'est pas très portée sur tout ce qui incarne le conservatisme scolaire, le formatage qu'elle estime être un endoctrinement des masses. Elle est pétrie d'anarchisme, de pensées libertaires, écolos et profondément humaines. Elle m'a élevée de façon à ce que je reste confiante envers mes idées, que je ne me fonde pas dans un moule préétabli, que je sois capable de dire « non » à un effet de groupe, si je ne suis pas d'accord avec lui. À l'inverse de ce que l'on cherche souvent à nous enseigner à l'école, même si j'ai conscience que le savoir peut permettre de se défendre, de faire évoluer sa pensée. Néanmoins, j'ai tant appris auprès des autres que l'enseignement qu'elle dispense me semble parfois superflu.

Dans un réflexe commun, nous nous arrêtons sur le trottoir face au bâtiment qui s'ouvre devant nous. Il est plutôt énorme, tout en lignes géométriques bétonnées. L'un des murs est recouvert de lierre comme pour lui offrir un semblant de vie, alors qu'il en paraît dénué. Le lycée ressemble à une demeure d'architecte, avec de grandes vitres attirant la lumière et de vastes espaces. Il est froid d'apparence. Je ne risque pas d'y dénicher une bibliothèque ancienne, aux murs lambrissés, distillant une chaleur surannée grâce aux livres qui y seraient entassés. Je visualise déjà les couloirs austères et glacés. La cour est elle aussi immense, envahie de lycéens impatients. Quelques érables en grèvent la surface goudronnée, ainsi que des bancs en bois autour d'un terrain de basket. Je passe la main sur mon bras pour en tamiser la chair de poule. Je vais détester cet endroit, tout ce qu'il doit incarner autant que ce qu'il dégage.

Je tourne la tête vers mon compagnon d'infortune. Lui aussi contemple la bâtisse de son regard hivernal, avant de rencontrer le mien qui le fixe.

— Je suis ravie d'être là, lâché-je. Ça se voit, non ?

Il acquiesce d'un hochement et déploie sur ses lèvres son sempiternel sourire moqueur.

— On y va ? grogné-je.

J'avance d'un pas, imitée par mon « frère ».

— Vu la taille du bâtiment, au moins, on ne risque pas de se croiser souvent, ajouté-je. Chacun pourra vaquer à ses occupations en toute tranquillité.

Il ne se donne pas la peine d'attraper son téléphone pour rétorquer. Il se contente de son rictus.

Nous nous dirigeons dans un silence polaire vers le tableau d'affichage. À coups de coude, je parviens à me tailler un passage pour chercher mon nom sur le listing : Billie Cluzange, Terminale 7, bâtiment A, salle 104. Mon regard s'égare quelques lignes plus haut, où je peux lire : Swan Anconie, Terminale 7, bâtiment A... grrrr.

Love Memories (Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant