Chapitre 8

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Billie

Des cris.

Des halètements.

Les yeux bleus de Swan dressés au-dessus de moi. Sa main sur ma hanche.

Des cris.

Des halètements.

Sa bouche près de la mienne, son souffle sur ma peau.

Des cris.

Des halètements.

Sa voix dans mon oreille, basse, rauque.

Ses doigts qui glissent sur ma peau.

Des cris.

Des halètements.

Qui glissent le long de ma cuisse, de mon aine, de mon...

— Non !

Je me redresse soudain au milieu de mon lit, les yeux exorbités, les membres empêtrés dans des draps moites. Oh bon sang... que vient-il de se passer ?

Mon regard hébété s'enfonce dans l'obscurité de ma chambre, tandis que ma respiration est saccadée, que je sens au creux de mon ventre une lourde pulsation, que ma peau me paraît brûler comme si... comme si on m'avait touchée. Mais il n'y a personne dans la pièce. Je suis seule. Pas de trace de Swan penché au-dessus de moi avec ses iris de glace, ses iris qui paraissaient vouloir me dévorer tout entière. Je mets la main devant ma bouche, sous le choc de cette vision de lui. Si... animale. Je ne peux pas avoir rêvé d'un tel moment. Pas comme ça. Pas de cette façon et, bordel, pas avec lui !

Si, avec lui, surtout avec lui...

Petite voix odieuse et mesquine dans ma tête.

— Non !

La voix explose brusquement. En écho, un frisson glacial dévale ma colonne vertébrale. Ce cri n'était pas dans mon rêve. Je tourne la tête vers le mur, le souffle coupé. C'est le sien.

Prise de panique, je tire les draps, arrache mes jambes à leur gangue qui tente de me retenir prisonnière, manque de m'affaler par terre et me précipite dans le couloir. Je l'entends geindre, comme si quelqu'un était en train de lui faire du mal. Il y a quelqu'un dans la maison ? Les parents sont absents pour le week-end. Ça ne peut pas être eux. Je devrais prendre une arme ? Un couteau ?

Je n'ai pas le temps de réfléchir davantage quand une nouvelle plainte franchit les murs, m'extirpant une affreuse crispation dans la poitrine. Sans marquer d'hésitation, de peur de manquer de courage, je pousse la porte de sa chambre et suis aussitôt plongée dans ses ténèbres. Seul un frêle faisceau filtre du lampadaire, près de la haie, à travers les persiennes tirées.

— Non, non, non...

Je me fige sur le seuil. Swan est seul, endormi ou plutôt captif d'un horrible cauchemar. Sa voix... mon Dieu, sa voix me tord les tripes. Une voix comme dans mon rêve, quand il était positionné au-dessus de moi à me considérer comme si j'incarnais son repas le plus délicieux et qu'il me murmurait... quoi déjà ? Mais celle-ci n'a plus rien à voir, elle est terrifiée, déformée par la peur. Rauque et brisée, sacrément brisée, comme s'il mâchait des bouts de verre et les enfonçait dans sa gorge.

Mon cœur bat dans ma poitrine avec violence. J'ai l'impression de pouvoir sentir le sang qu'il pompe et envoie dans mes artères. Je m'approche lentement, gauche et mal à l'aise. Swan se démène dans ses draps. Son poing est refermé sur l'étoffe. Il tire dessus, se tord et se plie en deux comme si on lui tranchait le ventre. Je me pétrifie près de son lit, lorsque je découvre les larmes qui dévalent ses joues, les tics de douleur qui froissent son visage. Il n'a plus l'air d'avoir dix-sept ans, il ressemble à un enfant qu'on serait en train de torturer. La brutalité de cette image manque de me voler un sanglot. Il se retrouve coincé dans ma bouche, ma gorge nouée.

Avec prudence, j'avance la main vers son épaule découverte. J'ai peur de l'effrayer en l'extirpant trop violemment de son cauchemar.

Mes doigts se posent sur sa peau, caressent son bras tout en douceur. Je m'approche davantage, me penche au-dessus de sa figure tourmentée et murmure :

— Swan, chut... calme-toi, tu es en train de rêver. Swan, là... doucement...

J'enfonce mon autre main sur le matelas pour m'équilibrer tandis que mes doigts longent sa clavicule pour se nicher dans son cou, là où je sens battre férocement son sang dans sa jugulaire.

Sa mâchoire se crispe. Il psalmodie des « non » à n'en plus finir en une longue supplique que personne, à part moi, ne peut entendre.

— Ne t'inquiète pas, Swan. Tu ne risques rien...

Je suis si près maintenant que mon nez frôle le sien. Mes doigts enveloppent l'angle crispé de son visage, choient sa peau et se figent quand brusquement il ouvre les yeux. Des yeux hagards, injectés de sang et complètement paumés. Je n'ai le temps de rien, en dehors de laisser échapper un gémissement de surprise, que deux mains me saisissent en haut des bras et me renversent au milieu du lit. Swan se dresse au-dessus de moi, les narines dilatées, ses cils battant sur ses prunelles soulignées de pleurs silencieux. Une ride est profondément creusée entre ses sourcils. La peur a fui devant la colère. Il est furieux. Que je sois là ? Que je le surprenne si vulnérable ?

— Pardon, murmuré-je aussitôt en posant ma paume sur son torse, à l'emplacement de son cœur aux battements déchaînés. Je ne voulais pas... tu... tu criais.

Une ombre voile ses yeux. Ses yeux qui me semblent si bleus, si brillants. Si tragiquement beaux.

Ses sourcils se froncent. Sa bouche s'entrouvre comme s'il souhaitait parler, mais aucun mot n'en sort. Il se laisse soudain tomber sur moi et enfouit son visage dans mon cou. Ses bras se referment autour de mon buste, me soulèvent presque pour me coller à lui plus étroitement encore. L'une de ses jambes glisse entre les miennes, si bien que je ne peux plus bouger un muscle, si tant est que l'envie m'en aurait pris, outre qu'ainsi prisonnière, je ne peux pas l'enlacer en retour. Peut-être qu'il ne le souhaite pas.

Sa joue est logée sous mon oreille, son nez dans mes cheveux. Contre ma peau, je sens l'humidité de ses sanglots. Son corps tout entier est moite de sueur ; il frissonne de froid. De peur aussi, peut-être. J'essaie de tourner légèrement la tête sur le côté pour saisir son regard, mais il me l'interdit et s'enfonce davantage contre ma gorge, presque sous mon menton. Il respire fort, sa poitrine se gonfle tant que j'ai l'impression de percevoir son pouls à travers mes propres côtes.

La situation n'est pas la même que dans mon rêve, pourtant les émotions qui me traversent me semblent mille fois plus puissantes. Tout le poids de son corps pèse sur le mien. Sa chaleur m'environne. Ses lèvres m'effleurent en une douce caresse et son souffle se répand sur mon épiderme. Ses mains appuient dans mon dos pour me presser plus intimement contre lui.

J'ignore combien de temps nous restons ainsi, sans bouger, encore moins parler. Je m'en fiche, d'ailleurs. Le seul fait de sentir sa bouche contre ma veine battante, ses bras autour de mon corps, juste lui, en réalité, me suffit. Je ne cherche pas à comprendre ou à analyser toutes les perspectives déroutantes qui pourraient résulter de cette étreinte. Je trierai demain, une fois l'esprit plus éclairci. Maintenant, je profite de ce moment étrange, échappé du temps, durant lequel Swan m'enlace et me fait suffisamment confiance pour me montrer cette facette tout abîmée de lui. De ma vie, personne ne m'a jamais tenue de cette façon, avec ce lien tangible qui circule entre nos deux peaux. Personne ne m'a jamais montré tant de vulnérabilité et tant de lui en l'espace de quelques instants. Alors, je me moque du reste. Swan est tout ce qui m'importe. 

Love Memories (Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant