Billie
Swan m'a fuie avec un certain brio tout le reste de la journée, mais je me suis amusée des tentatives de Léo et de Benjamin pour le mêler à leur bande. Le destin ou le karma est bien ficelé. Les garçons ont l'air de nature plutôt obstinée et enjouée, ce qui semble parfait pour chasser sa mauvaise humeur coutumière. J'ai bien rigolé face au regard empli de colère contenue de Swan, alors que les deux garçons tentaient de le dérider. Peut-être ont-ils compris qu'il représentait une bête sauvage à apprivoiser. Ben ne manque pas de réparties cinglantes, parfois cyniques et drôles, et Léo, de bonnes vannes taquines. Un bon duo, où leurs personnalités aux antipodes se complètent à merveille. J'ai vu Swan saisir son téléphone à quelques reprises pour leur répondre, ce qui paraît bon signe. J'ai tout de même croisé les doigts de peur qu'il les insulte, mais ça n'a pas eu l'air d'être le cas, puisqu'ils sont restés près de lui toute la journée. Je ne les crois pas masos. De mon côté, j'en ai profité pour me rapprocher de Vanessa et de Ludivine, qui semblaient enclines à m'accepter parmi elles. Une journée plutôt constructive, en somme.
Ma mère nous attendait sur le parking à 17 heures. À partir de demain, nous devrons effectuer le chemin à pied.
À peine sommes-nous installés dans la voiture qu'elle nous bombarde de questions, auxquelles je me fais un plaisir de répondre. Swan ne desserre pas les lèvres ou plutôt ne prend pas la peine de saisir son téléphone pour apporter sa contribution à la conversation. Il se contente de regarder le paysage défiler par la fenêtre avec l'air de vouloir cramer tout ce qui se déroule sous ses yeux. Ma mère croit bon de ne pas insister. Sitôt descendu de la bagnole, il file tel un aigle vers la maison.
— Il s'est passé quelque chose ? m'interroge-t-elle aussitôt en franchissant le perron.
— Il est toujours comme ça, non ? biaisé-je, accompagné d'un haussement d'épaules.
Ma mère m'observe de ses yeux plissés, remplis de sagacité, pour tenter de démasquer une quelconque supercherie, mais je lui dédie mon sourire 100% ange. D'ailleurs, je n'ai rien fait de mal. Je l'ai aidé à sociabiliser. Je mérite un prix Nobel pour cet exploit. Il a vécu une journée normale pour un lycéen. Il s'est fait des potes. S'il y mettait un peu du sien, il pourrait même les garder. Alors, au diable sa mesquinerie !
Je grimpe l'escalier menant aux chambres, remonte le couloir, passe devant celle de Swan pour gagner la mienne. Je n'ai pas le temps de l'atteindre. Une main s'abat sur ma bouche, étouffant un glapissement de surprise. Mon corps est projeté vers l'arrière sur un torse solide et dur. Mon sac m'échappe et tombe à mes pieds. Je pose les doigts sur la main qui me maintient muselée, mais je n'ai le temps de rien. Un bras costaud, glissé sous ma poitrine, me traîne à reculons dans la pièce que je viens de dépasser.
À peine le seuil franchi, Swan claque la porte de sa chambre contre laquelle il m'accule aussitôt. Son regard, aux nuances de givre, fond dans le mien. Son poing est fermé près de ma tête, tandis qu'il m'interdit toute échappatoire. Peu effrayée par sa tentative d'intimidation, je le fixe à mon tour et lui balance dans les gencives :
— C'est con, tu ne peux même pas m'engueuler.
Un muscle de sa mâchoire tressaute. Il donne un coup de poing dans le battant qui me laisse de glace.
— C'est raté, enfoncé-je le clou.
Il plisse le nez de colère, m'observe encore une longue seconde comme s'il pouvait vraiment me faire peur de cette façon, puis renonce. Il m'attrape par le poignet pour m'interdire de m'enfuir, même si je n'en ai pas l'intention, et me traîne derrière lui vers son bureau.
C'est la première fois que j'entre dans sa chambre. Celle-ci est en ordre, pour la simple et bonne raison que la plupart des cartons ne sont pas encore défaits et s'entassent dans un coin. La tapisserie est vieillotte et se décolle par endroits, elle doit être repeinte prochainement selon ses goûts. Son bureau se dresse contre l'un des murs, face à son lit recouvert d'une couette noire avec un grand sabre blanc dessiné sur l'étoffe. Il a la chance d'échapper aux fleurs de ma mère. Quelques affaires reposent sur le meuble en bois, là où s'accumulent des cahiers de cours, des feutres et des livres.
Swan attrape un bloc-notes, un stylo et ouvre la première page. Il n'a toujours pas lâché mon bras. Il le tient même suffisamment fort sous sa poigne, au point de me faire grimacer de douleur, mais hors de question de le lui montrer. Il se penche sur le bureau et écrit comme un forcené, la pointe s'enfonçant dans le papier :
« La prochaine fois, mêle-toi de tes fesses ! Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ? »
— De me préoccuper de toi ? m'étonné-je en lisant par-dessus son épaule.
Son regard me transperce.
« Comme si c'était pour moi que tu l'avais fait. T'essaies de te venger de quoi exactement ? C'est pas ma faute si t'es coincée là. »
— Je le sais très bien. Arrête de faire un scandale. Je t'ai juste présenté à des gens. En quoi est-ce mal ?
« Je ne veux pas d'eux ! Je ne veux de personne ! »
Sa réponse me désarme un instant.
— Pourquoi ?
« Pour ne pas qu'ils posent de questions stupides, comme toi », me blâme-t-il.
J'essaie de libérer mon bras, sans y parvenir. Il se redresse sur un coude entre deux phrases pour me regarder en face, j'en profite pour lui asséner :
— Pourquoi tu ne parles pas ?
Ses yeux flamboient aussitôt. Ses doigts me libèrent et me repoussent si violemment en arrière que je manque de m'affaler par terre. Ses lèvres bougent, mais aucun son n'en sort. Il se contente d'articuler : « Fous le camp ! ». Je n'ai pas besoin d'entendre sa voix pour le comprendre. Tout son corps me le hurle. Vexée, je fonce vers la porte et, avant de la claquer, je lui crie :
— Vate faire foutre, Swan !
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Love Memories (Black Ink Editions)
Romance« Je te présente le nouveau membre de notre famille, voici Swan. Dorénavant, nous serons tous ensemble. » Billie, jeune hippie, éprise de liberté, est contrainte de poser ses bagages pour vivre auprès du nouveau mari de sa mère et de son fils, le be...