Chapitre 7

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Swan

Assis en salle d'étude, je me surprends moi-même à fixer la cour ou plutôt... qui s'y trouve. Installée sur l'arête d'un banc, ses pieds chaussés de sandales aux lanières montantes posés avec nonchalance sur l'assise, Billie papote gaiement en compagnie de ses nouveaux potes. Ça semble si facile pour elle, d'être naturelle, spontanée et enjouée. Elle porte encore l'une de ses horribles robes toutes colorées. Celle-ci est bariolée, sans fleurs, mais tout aussi fantasque. Dans la cour, au milieu des autres, impossible de la manquer. On ne voit qu'elle. Avec ses longs cheveux noirs flottant dans son dos, parsemés de tresses fines, son sourire solaire qui captive tout le monde, surtout Benjamin. Je l'ai surpris à plusieurs reprises en train de la reluquer sans grande discrétion. Il ne lui porte pas le regard d'un ami, encore moins celui d'un frère. Il me vole ma façon de la contempler quand elle était sous mon corps, les bras ramenés au-dessus de sa tête, sa chevelure éparpillée autour de son visage telle une couronne sombre, sa poitrine délicate pressée contre mon torse. Non, définitivement pas le regard d'un frangin. Du désir brut, liquide, de l'envie. Qui enflamme le sang dans les veines. Benjamin la scrute de cette manière. Et moi aussi.

Agacé contre moi-même, j'écrase mon stylo au creux de ma paume, avant de frotter ma figure d'une main distraite. Qu'est-ce qui me prend d'agir de cette façon, comme un putain d'ado normal ? Je suis tout sauf normal. Ça fait bien longtemps que j'en ai conscience. Quand j'observe les autres mecs de mon âge, ils sont tous en train de mater une paire de seins en espérant tremper leur biscuit entre les cuisses des filles pour durer plus d'une minute. Mais moi, ça ne m'a jamais intéressé. Les filles me débectent. Le désir égoïste de plaire à tout prix encore plus que le reste. Par le passé, j'ai déjà essayé d'en toucher – une curieuse ou une révoltée qui n'avait pas peur de moi –, de poser mes lèvres sur les leurs pour ressentir une émotion, n'importe laquelle qui ne soit pas du dégoût, mais les tours de langue dans leur bouche, leur saveur, leurs mains sur ma nuque, les miennes dans leur culotte, me soulevaient le cœur. Je déteste perdre le contrôle de moi-même pour un truc aussi primaire et basique que le sexe. J'en ai sûrement trop vu les conséquences. Son pouvoir. Sa face obscure. Le désir me fout la trouille. Il rend les gens stupides, avides et jaloux. Hors de question que je me laisse posséder à mon tour, sous le prétexte ridicule que la fille de ma belle-mère est... qu'est-elle, d'ailleurs ? Mignonne, OK, c'est loin d'être la seule. Des tas de filles sont mignonnes dans cette cour. Plus apprêtées, plus féminines. Plus accessibles.

À travers mes doigts en éventail, mon regard musarde de nouveau sur Billie. Une bombe de couleurs. Un soleil pur planté au milieu de cette cour triste. Je surprends le tissu de sa robe qui se retrousse sur sa cuisse droite et révèle une parcelle de peau nue, au rythme de ses mouvements. Ma pomme d'Adam exécute un aller-retour déplaisant. Billie sourit à Ben dont le regard oblique vers cette jambe dévoilée. Je crispe la mâchoire, me détourne brusquement pour contempler le tableau noir qui se dresse devant moi.

C'est la fille de son connard de père. C'est ma nouvelle « sœur ». Ma nouvelle super « famille ». Oublie ça, abruti. Si tes hormones se réveillent d'un coup, t'as qu'à draguer une autre nana. Pas une hippie cinglée.

Je me répète mon nouveau slogan pendant quelques minutes, puis décide qu'il est temps de mettre les voiles. Je m'arrache à ma chaise, enfourne mes affaires dans mon sac et quitte la salle d'étude au pas de charge. Dans le préau, je ralentis l'allure, mon regard traînant sur l'immense peinture qui en couvre une partie. Songe que ça ressemble à ce que j'ai connu dans mon enfance. Ce bordel immonde, plein de sang, de violence et d'amour démoli. Avant d'être happé par mes souvenirs, je quitte son obscurité et me fonds à travers la masse de lycéens qui s'agitent dans la cour tel un tas de cafards, sous le soleil encore aride de cette fin septembre. La fraîcheur automnale n'est pas encore à nos portes. La chaleur brûle, couvre les peaux de sueur et offre de beaux décolletés dans le paysage.

Love Memories (Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant