Chapitre 4

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Billie

Benjamin et Léo se tiennent devant moi, l'un, bras croisés sur le torse, la mine rembrunie, l'autre, la main dans les cheveux, l'air gêné, tandis que je suis installée sur le banc, ceinturée par Vanessa et Ludivine. Depuis une semaine, nous passons notre temps ensemble, à nous découvrir. Nous avons pu constater que nous avions peu de points en commun, mais la diversité de nos caractères ne représente pas un obstacle. Mieux, elle nous rassemble. Les silences existent peu avec elles, contrairement à un autre qui le cultive. Mes deux amies s'intéressent à mon mode de vie, me questionnent souvent sur mes voyages et mes rencontres, jusqu'à ce que la plupart du temps le sujet « garçons » vienne sur le tapis. Je tente tant bien que mal de participer aux conversations, bien que je n'y aie jamais porté un grand intérêt. J'ai eu quelques copains au cours des dernières années, mais le plus souvent, il s'agissait plutôt de quelques potes avec qui j'ai échangé des baisers que de véritables histoires d'amour. Lorsque nous étions au Brésil, Estéban a sûrement incarné celui qui s'en rapprochait le plus. C'était un jeune issu des favelas. Vif et débrouillard, avec ses yeux noirs brûlants et son sourire charmant, il m'a offert mon premier baiser pour mes treize ans. J'en garde un bon souvenir.

Mal à l'aise, Ben se gratte le front, l'air de chercher la manière adéquate de me confier le motif de leur présence. Je le fixe sans ciller, puis soupire, peu étonnée, en lâchant :

— Qu'est-ce qu'il a fait ?

Léo enfonce les mains dans ses poches de jean.

— Il nous a fait comprendre qu'il n'avait pas très envie d'être avec nous. On a essayé d'insister, tu sais ? On voit bien que son truc à la gorge le fait chier, mais...

— On peut pas le forcer, ajoute Ben, en tirant son paquet de clopes de la poche arrière de son jean. J'ai l'impression de lui infliger une ablation des couilles à chaque fois qu'on l'approche. J'suis désolé, Billie.

— C'est pas grave. Vous êtes sympas d'avoir essayé.

Je passe mes doigts sur mon visage, éprouvant une soudaine tristesse, en me demandant bien pour quelle raison je me sens mal pour lui. C'est son choix, après tout. S'il préfère être seul, plutôt que d'être entouré d'amis. Que puis-je y faire ?

— On ferme pas la porte, OK ? insiste Léo. Ça se voit qu'il est blindé de merdes dans la tête. S'il a besoin – ou toi – pas de souci.

— Ouais, paraît qu'on est doué pour sociabiliser, se moque Ben en coinçant sa cigarette à la commissure de ses lèvres.

— Non, moi je le suis, argue aussitôt Léo. Toi, tu dragues.

Ben m'adresse un clin d'œil tout en actionnant la roulette de son briquet.

— C'est parce que je suis plus sexy.

Les filles pouffent de rire à mes côtés.

— Et arrogant ! plaisante Ludivine.

— Les deux vont souvent de pair, prétexte Benjamin.

Je secoue la tête, m'arrache au banc et demande :

— Merci pour votre patience, les garçons. Où est-il ?

— Sous le préau, me répond Ben en désignant la vaste entrée d'un mouvement de bras.

Je défroisse ma robe en agitant le tissu fleuri et coloré, puis m'excuse auprès d'eux. Je traverse rapidement la cour baignée de soleil. Ici, le mois de septembre est agréable, chaleureux et doux. La brise marine soulève mes cheveux et les senteurs salines qu'elle transporte pénètrent dans mes narines lorsque je franchis le seuil du préau. Je ne mets pas deux minutes à le repérer. Il est assis au pied de l'une des colonnes de soutènement de la bâtisse, face à l'immense peinture bizarre qui hante l'un de ses murs. Les coudes sur les genoux, il la contemple, immobile. Il a glissé des écouteurs dans ses oreilles, son regard file le long des lignes et des couleurs qui semblent pulser, prêtes à donner vie à cette immonde fresque. À quoi pense-t-il ? Voilà plus d'une semaine que nous n'avons pas échangé trois mots, depuis qu'il m'a rembarrée dans sa chambre. On se croise, se salue d'un signe de tête, puis basta. Il communique à peine davantage avec ma mère. Il se tient éloigné d'elle. Non pas qu'il semble la détester, il ne la laisse seulement pas l'approcher, comme si son contact pouvait le blesser. Ma mère n'est pas du genre à insister. Elle m'a confié, un soir où il s'est éclipsé à toute vitesse dans sa chambre, qu'il ressemblait à un cheval sauvage, qu'il avait été brisé autrefois et que son père n'était jamais parvenu à le réparer. Je n'ai pas réussi à en savoir plus. Je n'ai pas cherché non plus. Swan m'a fait comprendre qu'il ne désirait pas de moi dans sa vie. Alors pourquoi creuser dans les entrailles nébuleuses de son passé ? Et pourquoi me tenir désormais à quelques mètres de lui, prête à le confronter à sa bêtise ?

Love Memories (Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant