Love Memories (Black Ink Editions)

Chapitre 10

Billie

— J'en reviens pas que t'aies réussi à le convaincre de venir, me lance Léo en lorgnant en direction de Swan.

Ce dernier est assis sur un vieux tronc d'arbre couché sur la plage, un joint entre deux doigts.

Je relève la tête pour croiser le regard brun et amusé de Léo.

— Pour être honnête, moi non plus. Je pensais qu'il m'enverrait bouler.

Il a bien été à deux doigts de le faire, mais pour une raison mystérieuse, il a fini par me répondre sur un bout de papier : « OK, je t'accompagne ». Je crois que le Père Noël existe bel et bien finalement.

Léo sourit, bataille des coudes pour atteindre le fût de bière et remplit deux gobelets qu'il parvient ensuite à me tendre, avant de se servir lui-même.

Aussitôt armée d'alcool, je passe près du feu de camp qui brûle joyeusement au milieu de la plage, la partie la plus à l'ouest de la ville, là où les lumières des bâtiments ne nous atteignent presque plus, donnant l'impression que l'obscurité a gagné contre elle. La musique résonne, se mêle au roulis de l'océan et à nos rires. Certains dansent, d'autres discutent autour du feu, en faisant brûler des trucs au-dessus des flammes qui sentent soit le cramé, soit le bonbon. Nous sommes une petite quinzaine du lycée en train de nous trémousser pieds nus dans le sable. Je suis épatée que Swan ait accepté de se mêler à un évènement aussi trivial que celui-ci, qui nécessite de communiquer ou, globalement, de s'approcher d'un autre être humain. Même si je me refuse à le lui avouer de crainte qu'il se moque, je suis contente qu'il soit là.

Depuis la nuit où j'ai dormi à ses côtés, il n'a pas cherché à m'esquiver – à l'inverse de ce que j'avais imaginé –, en tout cas, moins souvent qu'auparavant, même si derrière sa froideur habituelle semble désormais se cristalliser une certaine gêne. Comme pour moi, d'ailleurs. Chaque fois que ce souvenir revient vagabonder dans mes pensées, mes joues me brûlent, une douce torsion se crée dans mon ventre et j'éprouve le besoin urgent de l'apercevoir. Juste le regarder, même de loin. De près, c'est encore mieux. Surtout quand ses yeux me cherchent eux aussi. Je sais bien de quoi ça a l'air, je devrais avoir peur, me sentir désolée, à cause des parents, à cause de la situation, cependant, ces tracas me paraissent dérisoires dès qu'il pénètre dans la même pièce que moi et que, derrière ses iris glaciaux, je devine une lueur troublée. Qui ressemble à la mienne. Alors, je n'y réfléchis pas trop, parce que si je pose des mots sur ce que j'éprouve, il se pourrait que je glisse vers l'endroit d'où on ne revient jamais entier. Et cela m'effraie. Terriblement.

Swan est en train de porter le joint à ses lèvres quand je le rejoins avec un verre dans chaque main. En me voyant approcher, son regard accroche le mien, éthéré, au milieu de la fumée qui se torsade devant son visage. Ses prunelles magnétiques ne descendent pas en dessous de ma gorge, pourtant j'éprouve la sensation étrange que le tissu sur ma peau s'estompe, existe à peine. J'ai du mal à déglutir, poussant ma salive, encore plus à sourire, lorsque je me laisse tomber à genoux devant lui, la bière tendue dans sa direction. Il enroule ses doigts autour du verre en plastique, son pouce s'attardant sur ma peau. En échange, il détache le joint de sa bouche et me l'offre en recrachant une nouvelle spirale de fumée. Je m'en saisis rapidement, tire une longue taffe, sens la brûlure de l'herbe et du tabac tapisser ma gorge. Le pét' est plutôt fort. Je ne sais pas combien Swan en a fumé, mais les vaisseaux sanguins dans le cristallin de ses yeux me paraissent éclatants. Je tire encore quelques bouffées, tandis qu'il boit sa bière, avant de lui rendre son joint.

Même s'il m'a accompagnée, il se ne mêle pas aux autres, demeurant assis sur la souche de l'arbre, face à la mer. Il n'a toutefois pas l'air de s'ennuyer ou d'avoir envie de fuir. De temps en temps, Léo ou Benjamin viennent fumer avec lui, avant de s'éclipser vers des contrées plus féminines.