Chapitre 5 : Le Lien

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Le vendredi 28 septembre, seuls deux élèves séchèrent le cours d'Histoire des Civilisations donné par l'éminent et passionnant Dr. Nence. Tous les élèves les virent partir alors que le professeur venait d'entrer, mais heureusement le concerné ne s'en formalisa pas : il lui restait encore 298 paires d'oreilles prêtes à boire ses mots.

Eugène ne lâcha Aimée qu'une fois hors d'écoute, au milieu du jardin du campus. Il l'avait presque traînée jusque-là, et elle l'avait suivie plus fascinée que bousculée. Encore confus, il tenta d'expliquer son geste dans un bégaiement improbable :

-É... Écoute, je... je ne sais pas pou.. pourquoi j'ai fait ça, mais..

-Moi je sais, l'interrompit Aimée entre fierté et gêne.

De son sac jaillit son propre journal qu'elle ouvrit à la dernière page où il était écrit, à l'encre encore bavante :

"Eugène, je n'en peux plus d'avoir peur. J'aimerais qu'on ait une discussion en tête-à-tête la prochaine fois qu'on se voit, pour qu'on puisse parler de ce qui nous arrive, pour qu'on puisse s'expliquer."

Le mentionné relut trois fois le passage avant de bien assimiler son contenu et ses conséquences. Il déglutit, prit son courage à deux mains, et demanda :

-Donc... Tu es Aimée ?

-C'est bien moi, en chair et en os, jouait-elle nerveusement avec ses cheveux.

-Désolé. J'ai encore du mal. Pour appréhender la chose. J'ai écrit un personnage, et il existait vraiment...

-Dis toi que la situation est sensiblement la même pour moi. Si tu savais tous les textes que j'ai sur toi... je ne les compte plus depuis longtemps.

-C'est très gênant... Depuis quand ?

-Je dirais à partir de tes six ans environ. Je suppose que tu as écrit plus ou moins la même chose, n'est-ce pas ?

-Je n'ai pas écrit grand chose. Pas le temps.

-Parce qu'il n'y a rien à raconter sans doute. À moins que ce soit toi qui décide ce qu'il y a à raconter, prit-elle un air songeur.

-Explique toi.

-Est-ce nous qui écrivons la vie de l'autre, ou ne sommes nous que des prophètes de son déroulé ?

-Auteurs ou chroniqueurs ?

-Exactement Eugène, exactement. Mais comment pourrions-nous le savoir ?

Un silence studieux s'installa entre eux deux avant qu'Aimée ne se décide à éclater de joie :

-Oh je n'en peux plus, c'est trop extraordinaire ! Tu es bien là ! Devant moi ! Toi, Eugène ! J'ai tant rêvé de ce moment ! Est-ce vraiment réel ? Je ne suis pas en train de rêver ?

-Houla, du calme ! Ton amie déteint sur toi !

-Oui, pardon, rangea-t-elle ses mains, rappelée à l'ordre comme une enfant de cinq ans.

-Je comprends mieux les insinuations de ta camarade. Mais qu'est-ce que je suis pour toi au juste ?

-Tu es un peu ma vie rêvée, celle que j'ai toujours voulu avoir.

-Pardon ? D'où ma vie est un rêve ?

-Eugène, je vis dans une banlieue sale où on me siffle dès que je mets du soin dans ma tenue. Mes parents sont divorcés, ma voisine et confidente n'est plus de ce monde, je m'occupe quasiment seule de mes petits frères et sœurs avec le salaire de misère que ramène ma mère, mère qui se tue à la tâche au point de s'écrouler dès qu'elle rentre à la maison. Je fais le dîner, le ménage, j'emmène tout ce beau monde à l'école et au moins une fois par semaine je suis en retard en cours parce qu'un abruti s'est jeté sous les rails du RER. Alors oui, pour moi, ta vie est un rêve.

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