Chapitre 3 : Écrire l'autre

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Aimée :

En réalité, je ne peux pas consacrer l'entièreté de ces deux mois à l'écriture. Pour la première fois de ma vie, je suis aussi occupée que mon personnage entre les cours, les révisions, les courses, les dossiers et les recours de justice pour le divorce de mes parents. Pour l'heure, je me fais peu de souci pour mon avenir : j'irai sûrement à l'université faussement moderne à trois arrêts de bus de chez moi. Par ailleurs, j'y ai déjà postulé. Pour les autres, ils demandent des échantillons de notre talent littéraire. Autrement dit des textes. Sans Eugène. En suis-je seulement capable ?

***

Eugène :

Mince ça fait une semaine que je n'ai rien écrit ! Aimée, donne moi des idées !

Aimée : Fais comme moi, sors dehors !

Mais je n'ai pas le temps ! Bon on va faire avec...

***

Aimée :

Après le lycée, je suis allé flâner dans le quartier, à la recherche d'inspiration. Une université me demande une histoire sur les saisons et mon professeur ne m'a pas laissé le choix : je dois l'écrire, ou sinon porter plainte contre lui pour harcèlement moral. On n'a pas idée de donner de l'espoir à ses élèves quand on sait qu'ils n'ont aucune chance.

Malheureusement, le parc étant sur le trajet du supermarché, je me suis décidée à y passer, pour la forme. Les banalités périodiques s'y déroulaient sans remous, du chant de l'oiseau aux bourgeons sur les branches. Une mécanique bien huilée, comme dans une horloge. À croire que cette mésange n'est qu'un casse-noisettes qui sort de sa pendule l'heure venue.

Je m'arrête un instant, l'horloge des saisons se sculptant dans mon esprit au rythme de mes pas. Voilà ma première histoire.

***

Eugène :

Maintenant, j'écris la nuit, au moins vingt minutes chaque jour avant de dormir. Je dois être ridicule à me cacher sous la couette à 17 ans, à avoir peur de mes parents. Mais heureusement, personne n'est là pour me voir.

Aimée : Tu ne m'aurais pas oubliée ? Je vis la nuit en ce moment pour ta gouverne !

Je vais pouvoir le rajouter à ton histoire ! J'espère juste que tu n'es pas trop irritable en journée à cause de ton manque de sommeil.

***

Aimée :

Merci les insomnies, il y a eu prise de bec avec mon prof de français aujourd'hui ! J'ai écrit, comme il le voulait, un texte pour chaque école, en m'inspirant des endroits où me guidaient mes pas, et il en veut encore plus ! La Sorbonne, voilà ce qu'il voulait m'enfoncer dans le crâne ! Pour ajouter une nouvelle statue à ma mémoire avec pour épitaphe "Ci-gît la confiance en soi d'Aimée" ? Non merci ! Et cette histoire sur Eugène qui n'avance pas me pousse à bout. Heureusement, Albane est là pour me soutenir.

Si seulement le foutu dieu qui régit notre vie pouvait me laisser dormir, que je puisse enfin me reposer.

***

Eugène :

Tu sais quoi Aimée ? Je pense que tu devrais dormir la nuit. J'ai fait quelques recherches et tu n'imagines pas le nombre de problèmes causés par ça.

Aimée : Seulement quand tu auras fini ton histoire !

Mon histoire, je l'ai bientôt finie. Tu as passé le collège entre des petits boulots et l'opéra pour lequel tu économises, puis tu as eu ton brevet haut la main, au lycée, pour rajouter un peu de drame, tes parents ont divorcés et tu t'es décidée à candidater pour la Sorbonne en passant devant le bâtiment !

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