Chapitre 16 : Derniers échanges

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Aimée :

Après le départ d'Albane et d'Eugène, je fus auscultée de tous les côtés par le médecin et sa mine sévère. Je ne dus pas lui sembler très en forme car il me laissa bien vite sur un "Je reviendrai demain." qui m'arrangeait : après un rêve si épuisant à ranger ma tête, je me sentais l'envie d'un sommeil qui en serait dépourvu.

Et cela arriva. Sur le mur qui me faisait face, l'horloge inversa sans crier gare ses deux aiguilles le temps d'un clignement de paupières, passant d'un généreux vingt heure trente à un matinal six heure quarante. Je n'y crus pas jusqu'à ce qu'une infirmière entrouvre la porte dans un murmure :

-Bonjour Mademoiselle, vous êtes réveillée ? Je dois vous faire un examen, dit-elle avec l'embarras de ceux qui ont toujours peur de gêner.

Suivant les consignes laissées par mon médecin, elle commença avec mon approbation, demandant sans cesse si elle pouvait faire ci ou ça. Je lui souris en guise d'assentiment, muette d'être dans les vapes. Je réalisais après coup que mon corps engourdi ne répondait que peu, encore anesthésié par mon "expérience" d'hier.

Deux heures plus tard, ce fut au tour de mon médecin toujours sévère. Cela m'amusa presque de le voir si ancré dans ce visage aride. Si le bateau de ma vie avait survécu aux récifs, le sien semblait mouiller dans un port maussade à souhait. Il me vint alors l'idée de lui parler, ce qui ne fut pas tâche aisée pour ma gorge ankylosée :

-Vous êtes médecin depuis longtemps ?

-C'est quoi pour vous "longtemps" ? leva-t-il mon bras.

-Dix ans ?

-Dans ce cas oui, ça fait longtemps, leva-t-il l'autre bras.

-Et pourquoi vous avez choisi de faire ce métier ? je me réappropriais ma voix.

-Y a-t-il besoin d'une raison ? passa-t-il à mon rythme cardiaque.

-J'ai l'impression que vous avez du mal à répondre directement à mes questions.

-Vous trouvez ? prit-il ma tension.

-D'ailleurs pourquoi vous m'avez soulevé les bras à l'instant ?

-Pour voir si vous alliez poser la question, sourit-il avec un soupçon de moquerie.

Heureusement que j'étais trop fatiguée pour avoir la force de réagir, sinon il m'aurait rendue folle. Je comprenais mieux maintenant l'énervement d'Albane hier. À ce sujet, j'avais sitôt pensé à elle que la porte s'ouvrait sur son énergie matinale :

-Salut Mémé ! Bien dormi ?

Le médecin voulut un instant lui dire de sortir le temps qu'il finisse, mais elle n'était pas venue seule. Les jumeaux et Lise l'accompagnaient, ma mère et Eugène tout derrière. Ce brouhaha massif et soudain le fit renoncer dans l'instant : il partit, grognant qu'il reviendrait plus tard, encore une fois.

Je passais l'heure d'après à rassurer ma famille sur mon état de santé, puis à me réconcilier avec Albane. Nous avions beaucoup à nous dire, mais nous parlâmes peu. Cela suffit, je crois. Tout ce temps, Eugène resta en retrait, attendant sagement son tour, un de mes cahiers à la main. Si cela m'intrigua à peine au début, ma curiosité ne fit que croître à mesure que les jumeaux partaient avec ma mère, suivis ensuite de Lise après mes excuses sur ma conduite et quand Albane nous laissa seuls tous les deux je ne tenais plus en place de savoir :

-Qu'as-tu de si important à me dire, Eugène ?

Il resta un instant sur sa chaise, à me regarder de loin. Il inspira ensuite un grand coup, se leva et vint vers moi pour me passer le cahier, bras tendu. Sa voix était remplie d'une émotion qui m'était inconnue :

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