Chapitre 14 : Inconscience

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Aimée :

Un malaise presque palpable déjeunait avec nous ce samedi midi. J'avais acheté de quoi faire des pâtes à la bolognaise, le plat préféré de ma sœur, mais je n'eus le droit qu'à la vision de son front durant tout le repas. Les jumeaux comprirent d'intuition l'existence d'un problème et on ne les entendit pas non plus. Ma mère gardait le silence par pure curiosité, me laissant l'initiative de la discussion.

Je regrettais de m'être emportée contre Lise et Albane, c'était certain, cependant je ne me voyais pas faire le premier pas, un peu par fierté personnelle et surtout parce que je n'avais aucune idée de comment m'excuser. Je l'avais déjà fait par le passé, mais jamais parce que je m'étais mis à crier sur ma propre sœur. L'avais-je vraiment fait ? Cela me semblait si flou. Je ne me voyais pas le faire en réalité. Je revoyais la scène, ma mémoire fonctionnait à plein régime, et pourtant je me sentais incapable de coller mon visage et ma voix sur celle qui s'énervait alors. Une autre que moi s'était chargée de cette basse besogne à ma place, un avis de recherche à son nom pour qu'elle vienne s'excuser en personne. Peut-être était-ce à cause d'Eugène, il l'avait peut-être écrit, la sensation se rapprochait. Je ne comprenais pas encore pourquoi il m'aurait écrit en train de remballer ma cadette mais cela restait une possibilité. Je me devais d'éclaircir ce point. Après tout, je n'allais pas m'excuser pour un acte qui n'était pas de mon fait. Mon assiette disparut dans l'évier miraculeusement vide et je décrochai mon téléphone, direction ma chambre.

Peu importe ce qu'en dirait Mère et ma fratrie, je devais savoir.

Le danseur décrocha à la troisième sonnerie :

-Aimée ? j'entendis sa perplexité.

-Oui, j'ai besoin de savoir quelque chose tout de suite, est-ce que...

-Désolé je suis en train de manger. Rappelle-moi après.

-C'est ton amie ? capta le micro de son téléphone.

Une de ses deux mères lui parlait. Il lui répondit par l'affirmative et obtint la permission de quitter la table. Mon prénom faisait visiblement office de passe-droit chez lui. Au son, il dut s'éloigner de quatre foulées avant de remettre l'appareil à son oreille :

-Qu'est-ce que tu me voulais ? Me prévenir de ce que tu allais écrire ?

-Tu te fiches de moi, c'est ça ? Je ne ferai jamais ça alors que tu t'es remis à m'écrire ! l'accusai-je de but en blanc sans savoir pourquoi.

-De quoi ?

-Ne mens pas, j'ai eu un épisode où je n'étais pas maîtresse de moi-même hier soir, tu croyais que je n'allais pas m'en rendre compte ?

-Tu délires Aimée. Pourquoi aurais-je fait ça ?

-C'est justement la question que j'allais te poser.

-Ecoute. Que tu veuilles diriger ma vie à cause de ta névrose, je peux le comprendre. Cette accusation, par contre, c'est n'importe quoi.

A nouveau, je sentis cette inconnue prendre le contrôle de ma voix :

-Exactement ce qu'un menteur dirait ! Tu n'es qu'un...

Je m'empêchai de finir cette phrase. Je ne la pensais pas, pas entièrement du moins, et je ne voulais pas me rajouter ce poids pour la suite des événements. Que j'ai pu m'arrêter me fit dire autre chose : cette discussion n'avait pas été écrite, sinon je ne m'en serais rendue compte qu'après-coup. Eugène ne m'avait pas piégée, je m'en étais très bien chargée moi-même. Des excuses semblaient à nouveau de mise, et je ne devais pas m'y dérober cette fois-ci :

-Pardon Eugène, je me suis emportée et j'ignore pourquoi. Je sais bien que tu n'aurais pas pu faire ça.

-Tu m'as l'air assez instable Aimée. Tu dois être très fatiguée. Repose toi, nous reprendrons cette discussion après. D'accord ?

Liés par la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant