Chapitre vingt-quatre : Luka

375 24 2
                                    

Elle est allongée sur le lit en chien de fusil. Je la regarde, les bras au niveau du ventre et la tête enfouie dans la capuche du sweat. Son ordinateur est posé sur le lit affichant ses cours de médecine. Je m'avance sans faire de bruit et couvre son corps avec la couverture. Le médecin a dit qu'il fallait attendre. Ça va être douloureux pendant quelques jours. Elle peut ressentir des douleurs abdominales, de la fièvre, les symptômes de la grossesse. Je passe ma main sur son front. Elle est brûlante. Il a dit que ça ne doit pas durer plus de vingt-quatre heures. Puis elle devrait aller voir un gynécologue entre huit jours et un mois après l'avortement. Je n'en reviens pas qu'elle l'ait fait. Je ne sais pas si j'en serai capable. Me dire que potentiellement il y a un petit être qui vit en moi, qu'il tient de moi et que je peux lui offrir la vie et cette décision n'a pas dû être facile à prendre. Au fond, elle a raison. On n'est pas ensemble. On ne sait même pas ce que l'on est. Peut-être que nous avons passé le cap d'être amis car je lui ai dit ce qu'il y a écrit sur mon bras. J'ai peut-être un peu menti. Ce n'est pas Alba qui a écrit ce poème mais moi-même. Sauf que j'en ai un peu honte. Il faut dire qu'à quinze ans comme aujourd'hui, je n'ai pas l'écriture d'un poète.

Ce n'était pas sa première fois. Je l'ai bien compris et le médecin aussi. Si j'ai bien calculé, la première fois, le fœtus devait être d'Oskar. Aujourd'hui, elle était à deux mois de grossesse. J'ai failli vomir en pensant qu'on aurait pû avoir un enfant conçu sur un capot de voiture. Très, très glamour... Au moins, dans un aquarium, c'est romantique mais sur un capot de bagnole. Bordel. Ca c'est du non romantisme absolu.

J'ai attrapé sa main et je ne l'ai jamais lâchée. J'ai haïs Oskar parce que s'il n'était pas là, peut-être qu'elle l'aurait gardé cet enfant. Ce deuxième, ensemble. On aurait pû l'élever même si on ne forme pas un couple. Les parents séparés ça existe. On lui aurait donné tout l'amour du monde. Mais d'un autre côté, Mila a raison. Ce n'est pas le bon moment. Oskar est là, il va sûrement la réclamer. Diego cherche à lui mettre dessus et moi... moi, je ne sais pas trop ce que je viens foutre dans l'équation mais j'y suis et bien comme il faut.

Je vérifie son verre d'eau, son repas maintenant froid et m'apprête à sortir lorsque sa main agrippe faiblement la mienne. Elle tire dessus et je comprends sa demande. Je m'allonge à côté d'elle, passe un bras derrière ma tête pendant qu'elle se replace comme si je n'étais pas là. J'ai remarqué que quand elle dort, elle se place en travers du lit. Un calvaire. Même la muraille de Chine que l'on avait mise en place a cédé mais je m'étais empressé de la remettre avant qu'elle ne se lève. Heureusement, sinon elle n'aurait plus dormi ou je me serais sacrifié pour dormir à même le sol.

Sa main glisse dans la mienne. Je n'aime pas ça. Hier soir, on a joué avec les limites mais on continue. Je crois que c'est plus fort que nous mais les paroles de Nate retentissent dans ma tête "Tu me le butes".

***

    Trois ans et demi plus tôt.

    Carlson est affalé dans son fauteuil. Alba allongé sur le canapé tandis que je m'installe sur le dernier fauteuil. La drogue et l'alcool ne nous réussissent toujours pas. Les cartons de pizza sont encore ouverts sur la table basse et la télévision diffuse des émissions de divertissement. C'est un concours de cuisine et si j'ai bien compris, la thématique porte sur les gâteaux de fêtes. Je ne comprends pas bien pourquoi car nous venons de passer Noël et les fêtes sont loin d'arriver ou ils prennent de l'avance sur Pâques.

- Alba, tu dors ici ?

- Non mais je repasserai demain.


    Carlson la dévisage. Il cherche l'excuse, le pourquoi du comment. Avant, elle restait dormir avec nous. Avant, elle dormait même avec nous. Mais tout ça, c'était avant.

[L.3] LOVE & POETRYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant