CHAPITRE CINQ : QUATRE COEURS QUI BATTENT

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Hola, lecteurs et lectrices et welcome dans ce nouveau chapitre de Moloch, partie II. Pour une fois, aucun trigger warning, c'est un chapitre de l'amour à tenter de faire regretter aux célibataires de l'être. C'est drôle et un peu touchant, c'est tout l'espoir de ce roman, parce que oui, y a de l'espoir dans ce bordel. Profitez en, ça va pas durer. Bonne lecture /o/

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Hobbes, 14 Février

Hobbes ne peut quitter son regard d'Ari, plongée dans un livre de Wittgenstein. Son air si concentré, aucunement rattaché à la réalité par conviction et volonté, elle semble aussi inatteignable et intimidante que Louis. Ils n'ont pas échangé un seul mot depuis la première fois où ils se sont rencontrés il y a un peu plus d'une semaine. Ari, indéniablement et constamment inexpressive, ne lui facilite pas vraiment la tâche. Le seul et unique instant où Hobbes fut témoin d'un léger changement, d'une expression furtive de sentiment, d'émotion, de sa mouvance pour retrouver le monde extérieur, c'est le moment où elle a croisé la silhouette de Louis, qu'elle a plongé ses grands yeux d'un marron qui tend vers le noir pour les clouer dans sa peau, ses vaisseaux sanguins, ses poumons étouffés par les cigarettes qu'il fume en trop grand nombre. On pouvait sentir son inquiétude d'une rive à l'autre de la Terre, son amour jusqu'aux frontières entre notre vision du ciel et l'espace infini et en perpétuelle expansion. Quand elle a tendu ses mains à hauteur du visage de Louis et de ses yeux rouges, ses cheveux trempés, ce colosse, ce géant, cet être hors du commun, quand elle a tranché ses yeux dans sa perception pour brouiller, changer, perturber son monde, quand elle a accepté de laisser mourir une part d'elle pour ne centrer son attention que sur cet homme imposant, rempli d'un poison qui le ronge et dont l'antidote est introuvable depuis des années, lui qui se nécrose, qui se laisse pourrir : elle a fait naitre au sein de ces plaies qui s'infectent à l'intérieur de lui un parterre de fleurs. Hobbes faisait face à la vision qu'il se fait d'une déesse.

Pourtant, Ari ne paye pas de mine, elle se confond facilement avec la banalité des autres. Mais à y regarder de plus près, elle échappe à tous les codes imposés, tous les symboles de la justice, la morale, la liberté, elle a déjà défiguré son éducation depuis longtemps pour construire la sienne, elle est la seule qui ne disparaît dans l'ombre de Louis Rightway, la seule qui le perturbe, une puissance sublime qui les embellissent autant elle que Louis. Elle l'aime plus que tout, plus que ses études, son goût pour la philosophie, elle l'aime d'un amour si singulier et touchant, elle l'aime et ça change tout. Pour Hobbes, rien que le fait qu'elle ait réussi à séduire Louis la rend unique et d'une beauté indomptable. La faculté d'aimer l'étonne moins chez Hyacinthe. Pas dans le sens où il est certain qu'il tombe amoureux d'Hobbes en tant que lui par rapport aux autres garçons qu'il pourrait séduire. Mais parce que Hyacinthe montre bien plus ses émotions, ses affections, il a bien plus conscience de son impact et des conséquences de ce dernier sur les autres. Louis se fiche de ça, il ne se laisse envahir par rien d'autre que son intelligence et le givre déposé sur ses pensées millimétrées parfaites : Louis ne se laisse dominer par rien, il est tout le temps dans le contrôle, psychorigide et précis sur toutes ses actions, ses impulsions. Il anticipe l'improbable, il connait par cœur les algorithmes possibles pour avancer le plus droit possible. Qu'Ari lise parfaitement son attitude austère fait d'elle une personne tout aussi méticuleuse que lui dans un sens mais aussi une espèce de magicienne tout aussi indomptable que lui. Ils vont diablement bien ensemble.

Ça fait un moment maintenant qu'ils attendent le retour de Hyacinthe et Louis. C'est la saint-valentin et ils sont prévus d'aller dans la fête foraine qui s'est montée il y a quelques jours en centre ville. Enfin, « ils », c'est surtout Hyacinthe qui a choisi l'endroit en confiant à Hobbes : « c'est le pire endroit pour amener ce couple d'intello qui n'ont aucune notion de romantisme et ça va être si drôle ». Ari tourne les pages de son livre. A l'annonce du programme et du lieu choisis par Hyacinthe, elle avait regardé Louis. Louis et ses deux yeux enfin visible. Hobbes se pose à nouveau la question de savoir comment ce monde ne s'est pas disloqué sous l'existence de ces jumeaux. Louis est à couper le souffle. L'iris éclatée de son œil droit, impossible à voir sous l'illusion de Hyacinthe, le rend mystique. Hyacinthe est magnifique dans l'extase qu'il provoque, il appuie sa beauté au plus profond des organes, il donne l'envie de l'embrasser, d'être juste regardé une seconde par son grand regard pâle à la couleur changeante de son œil droit suivant la luminosité d'une pièce, il a l'air d'une créature surnaturelle symbole du plaisir charnel, luxure et tentation, il hypnotise tout, il est d'une beauté à s'en faire mal quand on le regarde. Louis a une beauté complètement différente. Métaphysique. Divine. Dans ses yeux, les couleurs de l'infini spatial. Dans ses yeux, les vérités conceptuelles du monde. Dans ses yeux, on se voit s'agenouiller. Des yeux froids remplis de terreur. Un géant de fer qui semble capable de fendre la terre en deux d'un seul regard. Dire qu'il va marcher entre ces deux bombes atomiques, ces dieux des amours, des guerres, de la sensualité inhérente et extatique pour l'un, surnaturelle et indescriptible pour l'autre. Ari et lui semblent d'une banalité incommensurable à côté d'eux. Enfin, lui, surtout. Il va devenir transparent mais il l'acceptera comme une bénédiction, une chance de côtoyer ces deux garçons sublimes et envoûtants, chacun d'une manière radicalement différente.

MOLOCH PARTIE IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant